(Billet 292) – Cité sans laïcité n’est que ruine de l’Homme

(Billet 292) – Cité sans laïcité n’est que ruine de l’Homme

Il y aura un avant et un après la pandémie de coronavirus. Le capitalisme mondial tangue, les systèmes politiques et sociaux chancellent, les sociétés occidentales s’effondrent, les certitudes vacillent et le doute s’instille … A l’issue de cette crise mondiale sans précédent depuis un siècle, beaucoup de paradigmes voleront en éclats. Et au Maroc aussi. Les supports économiques et les rapports sociopolitiques évolueront, et repenser la place de la religion dans la cité ne serait pas un luxe.

Toutes les études passées le suggèrent : les Marocains sont très attachés à la religion. C’est très bien, et c’est leur droit. La question à poser aujourd’hui est de savoir quelle place la religion doit occuper dans le fonctionnement de la société et dans l’engagement de la politique… Et là, les choses se compliquent.

Il n’est en effet rien de plus difficile que de raisonner un religieux, ou même un croyant bigot. Tout part de Dieu et tout vient de Dieu, expliquent-ils, sérieux, même face à une pandémie. Le reste ne serait que gesticulations temporelles, donc vaines, au mieux, détails impies au pire. Ce qu’il nous a été donné de voir durant le weekend dernier à Tanger et à Fès porterait à le confirmer. Des gens sortant de chez eux, hurlant des professions de foi, doigt érigé et consciences ravagées, au grand bonheur du virus qui frétillait et sautillait cette nuit-là d’abruti en allumé.

Les religieux pulvérisent les efforts des scientifiques, terrorisent les personnels soignants et scandalisent la population. L’approche religieuse est dangereuse et périlleuse, car contagieuse. Les appels du sinistre Abou Naïm ou du loufoque Nahari sont de la même veine. Des gens les écoutent, les croient, prient groupés pour mieux conjurer le sort, à la grande satisfaction du Covid-19 qui voit sa tâche facilitée…

Il faut le dire et le redire, cette crise qui menace des milliers de vies chez nous a été, est et continuera d’être (bien) gérée par l’Etat civil, par les institutions, dans le respect de la constitution. De toutes les décisions prises par le chef de l’Etat, une seule le fut sous couvert de son statut de commandeur des croyants, la fermeture des mosquées, par ailleurs réclamée à cor et à cris par une partie significative de...

la population, au point qu’avant la décision, on a vu les mosquées peu à peu désertées. Le reste de l’excellente réaction des autorités marocaines l’a été dans le respect du droit (ou presque) et conformément à la loi (ou presque).

52.000 mosquées, dont 14.000 en milieu urbain, avec (selon une étude de la BBC de juin 2019), une religiosité qui recule lentement certes, mais sûrement… Peut-on considérer avec cela que le Maroc est suffisamment doté en lieux de culte musulman et que l’argent à venir devrait être utilisé ailleurs, dans l’éducation et la santé essentiellement ?  Le Maroc est un pays musulman, et nous sommes tous musulmans (hormis bien évidemment nos compatriotes juifs ou chrétiens), mais est-il vraiment besoin de continuer de construire des mosquées à tour de bras, de les entretenir à gros bouillons d’un argent que nous n’avons pas ? Les mécènes construisent environ 150 mosquées par an ; qu’on les laisse faire et que l’Etat dépense son argent dans d’autres domaines, ceux de la santé et de l’éducation que tout le monde réclame aujourd’hui, religieux et bigots compris.

Est-il réellement nécessaire de persister à multiplier les cours d’éducation islamique, alors même qu’un simple module mensuel d’éducation religieuse suffirait, sachant que la religiosité de la société ferait le job en matière d’apprentissage spirituel ? Ne serait-il pas temps, aujourd’hui, que le Marocain réfléchisse sereinement à mettre en pratique une forme de laïcité à la marocaine, qui existe pourtant bel et bien dans les faits et que le royaume gagnerait à voir officialisée ?

Aujourd’hui, l’heure est à la connaissance, à la science et à la prise de conscience. Est croyant qui le veut, comme il le veut, et l’Etat devrait davantage songer à remédier au mal-être temporel ici-bas qu’au bien-être spirituel dans l'au-delà. Construire moins de mosquées et plus d’écoles et de dispensaires, imposer un apprentissage aux jeunes des écoles d’enseignement traditionnel pour ne pas les marginaliser et laisser la religion à sa place.

La religion est dans les cœurs, pour la foi ; il est désormais temps que la raison reprenne ses droits, pour une fois. Nous avons montré notre capacité à être bons, continuons… dans le respect de la foi certainement, mais aussi dans la consécration de la raison !

Aziz Boucetta