(Billet 290) – Couvre-feu au Maroc !

(Billet 290) – Couvre-feu au Maroc !

Non, ce n’est pas le titre d’un film, quoique cela se pourrait… Oui, c’est la réalité. Le Maroc est sous couvre-feu depuis hier, 18h. On peut appeler cela « urgence sanitaire », ou « état d’urgence », ou même « état d’urgence sanitaire », on peut le nommer comme on veut, mais nous sommes sous couvre-feu… Sauf que le nôtre est à mi-chemin entre un confinement à petit feu qui a fait long feu, et un couvre-feu latino-américain des années 80, sous le feu des baïonnettes, et qui ne sera pas.

Mais cela n’empêche pas l’inquiétude et l’appréhension, parfois l’incrédulité… Seuls les Marocains de plus de 60 ans auront un souvenir d’une pareille situation, et encore… l’état d’exception de 1965 était d’une autre nature, avec d’autres acteurs. La situation actuelle est inédite… Liés au contexte mondial et voyant l’épidémie se rapprocher, les Marocains ont vaguement vu la vague arriver, avant qu’elle ne vole au-dessus de leurs têtes !

L’Etat a donc louablement décidé de brûler les étapes, passant directement à « l’état d’urgence sanitaire », sans attendre que les décès se multiplient et que les corps s‘entassent. Qu’est-ce que l’état d’urgence sanitaire ? Une impérieuse nécessité sanitaire qui justifie un confinement forcé mais sans être un état d’exception ou de siège, trop contraignant politiquement, oscillant entre les articles 42, 59 et 74 de la constitution. On aura en outre remarqué la célérité avec laquelle cet état d’urgence a été mis en place ; comme pour le déploiement militaire, il avait été prévu dès le départ. En fait, on a tout fait comme la France, mais en plus rapide et en plus résolu…

Ce qui différencie notre « état d’urgence sanitaire » et un couvre-feu « normal » est qu’ici, aujourd’hui, population et forces de l’ordre ne sont pas en confrontation ; elles font cause commune, côte à côte, main dans la main (façon de parler bien entendu). Les secondes sortiront de leurs casernes pour s’assurer que les premiers entrent et restent chez eux. Aujourd’hui, ce couvre-feu ne produira pas ses résultats par la force des armes, mais par la grâce des âmes. Si le public comprend et adhère, s’il apprend et tolère, le...

confinement sera salutaire et cette période que chacun souhaite éphémère se déroulera de manière exemplaire. C’est simple et basique : ne pas sortir sans raison, et s’il y en a une, demander une autorisation qui sera accordée. Il faudra juste être discipliné…

Attendons-nous cependant à des débordements ou des dérapages d’agents épuisés, éreintés, soumis à une pression qu’ils n’ont jamais connue, pour un événement que personne n’aurait imaginé voici juste un mois. Et la même chose de la part d’une partie, depuis toujours méfiante et aujourd’hui rétive, de la population.

Mais encore une fois, les pouvoirs publics sont à la manœuvre, dans l’anticipation, sans précipitation ni crispation. Aujourd’hui, l’Etat consent un effort extraordinaire, et les banques aussi. Laisser filer le déficit budgétaire, prévoir une loi de finances rectificative (qui ne devrait pas tarder), ouvrir un fonds public, puis citoyen, de lutte contre la pandémie, doubler en 48 heures la mise initiale, les agents d’autorité se déplacent chez le citoyen pour lui remettre son formulaire de « sortie », la force publique pourchasse les récalcitrants mais avec moins de vigueur qu’on ne lui connaît... Nous n’avons tout simplement pas l’habitude de voir cela, et cela est bien pour un futur récit national qui nous manque tant.

L’ « état d’urgence sanitaire » pourrait, si les choses se déroulent bien, renouer voire consolider des liens sociaux que nous aurions pu penser irrémédiablement rompus depuis quelques années. Rapprocher ou peut-être même réconcilier riches et pauvres, très riches et moyens, public et personnel médical et/ou soignant, population et agents d’autorité… sont sans doute les meilleures choses qui pourraient sortir de cette situation, en plus bien évidemment d’une victoire sur ce fichu virus.

Après le couvre-feu, enfin, il faudra tirer les conséquences de tout cela, car beaucoup de choses risquent de ne plus être comme avant. On aura vu les risques cataclysmiques d’un système de santé défaillant, on aura compris les dangers d’un enseignement en faillite, et on aura mesuré les périls d’une population largement désœuvrée…

Si plus rien ne sera comme avant, alors faisons en sorte que santé, éducation et même classe politique ne soient également plus comme avant !

Aziz Boucetta