(Billet 254)– Jeunes entrepreneurs contre vieilles mentalités… qui l’emportera ?

(Billet 254)– Jeunes entrepreneurs contre vieilles mentalités… qui l’emportera ?

La société est dans le doute, et les membres de la Commission Benmoussa sillonnent les routes pour se mettre à son écoute, mais sans attendre le rapport final des « 36 », l’Etat a décidé de donner un sérieux coup de pouce à la PME et même la TPE. C’est très bien, il ne reste plus qu'à trouver les entrepreneurs, et les banquiers qui iront avec, et les suivront.

La PME est à l’honneur. Secoué par le discours du 11 octobre du roi Mohammed VI, le vaste monde de la finance nationale s’est prestement mis à la tâche et a rendu sa copie. Reçus en audience par le chef de l’Etat, banquiers et autres financiers se sont tous retrouvés le lendemain au parlement pour exposer leur plan. Des chiffres à donner le tournis : 6 milliards de DH à débloquer sur 3 ans, 2 milliards de DH pour le monde rural, des garanties allégées par l’entrée en jeu de la Caisse centrale de garantie, des taux d’intérêt de 2% (1,75% pour les entreprises du rural) …

Banquiers, ministre des Finances, président de Bank al-Maghrib et nouveau président du GPBM, tous sont venus, tous étaient là, ne jurant plus que par la PME. C’est très bien, mais si c’est possible maintenant, pourquoi ça ne l’était pas hier ? Et si ce n’était pas possible hier, comment cela l’est-il devenu aujourd’hui ? Il semblerait qu’hier, en effet, deux acteurs essentiels et incontournables manquaient pour mettre en place un tel dispositif : des entrepreneurs prêts à prendre des risques, et des banquiers disposés à les soutenir.

On ne s’improvise pas entrepreneur bancable, on le devient. Et pour le devenir, il faut pratiquer, prendre de l’expérience, ou alors, au moins, avoir reçu une formation dans ce sens. On ne s’improvise pas non plus banquier entreprenant, on le devient aussi. Et pour le devenir, c’est tout le logiciel mental des banques qu’il faut changer.

C’est donc une mutation structurelle des mentalités qu’il faut opérer, et cela prend...

du temps. Dans cette situation, les convictions priment sur les instructions. Il ne s’agit surtout pas d’aligner des nombres et des rations, d’établir des objectifs et de foncer tête baissée pour faire du chiffre, non… il est important que le banquier et l’entrepreneur apprennent à se connaître, à connaître leur mode de fonctionnement mutuel, leurs contraintes spécifiques.

Pour réussir ce projet d’envergure sans multiplier les faillites et autres déroutes et banqueroutes, il est important de ne pas laisser les entrepreneurs agir seuls, autrement cela reviendrait à confier le volant d’une voiture à quelqu’un qui n’a pas son permis de conduire ou qui manque d’expérience. En démarrant, ce conducteur novice risque de foncer dans un mur.

Prises temporaires de participation, mise en place de structures d’appui, d’accompagnement et d’orientation, coaching et mentoring des nouveaux entrepreneurs, un peu sur le modèle des centres Skills d’OCP à Khouribga, Laâyoune et ailleurs…. Ce sont là des mesures qui sont prévues au programme, mais sera-ce suffisant ?

Dans les années 90 du siècle dernier, un projet similaire avait été lancé, appelé alors « programme jeunes promoteurs ». Il avait échoué car les jeunes promoteurs étaient plus jeunes que promoteurs et les banquiers n’avaient pas joué le jeu, déjouant la réglementation car n’ayant pas compris les enjeux. Aujourd’hui, le dispositif présenté au chef de l’Etat est réellement intégré et audacieux, soumis au contrôle direct du palais.

Il est alors demandé aux banques de modifier complètement leur modus operandi, leur mode de gouvernance et leurs habitudes de méfiance, légitimes certes mais bloquantes… Il est important que les banquiers adhèrent à la philosophie du projet, et qu’ils ne considèrent pas les futurs promoteurs et entrepreneurs comme des « objets de faveur politique » mais comme de véritables porteurs de projets à valeur économique. Certaines banques sont déjà inscrites dans cette logique. Les autres, plus élitistes, le seront-elles aussi, accepteront-elles d’occulter leur recherche de « profit immédiat » au profit d’une adhésion à ce grand projet ? Le proche avenir le dira.

Aziz Boucetta