(Billet 249) – La CGEM tourne la page mais maintient l’aréopage

(Billet 249) – La CGEM tourne la page mais maintient l’aréopage

Et voilà une affaire rondement menée dans le monde des affaires… Chakib El Alj et Mehdi Tazi ont pris la tête de la CGEM, sous les applaudissements de tous, lors d’une cérémonie où la symbiose était émouvante, les sourires envoûtants, les connivences soigneusement masquées et les convenances savoureusement marquées. Les patrons ont donc un nouveau patron ; les affaires peuvent continuer. Avec eux, l’un minotier et l’autre assureur, le pain du peuple est assuré, restent les enjeux.

C’est donc la fin de la très brève ère Mezouar, qui a eu le malheur un jour maudit d’avoir dit quelques non-dits. Mais le grand capital ne pense pas, il compte, et comme il est lâche, dit-on, il a lâché son président. Las… Ce sont là les aléas des présidences en ce royaume des mystères, des enchères et des misères. Aujourd’hui, Chakib El Alj (à gauche sur la photo) est président, un président bien élu puisqu’il a enlevé 96% des suffrages exprimés, un score stalinien – ou basrien, pour faire local – qui rappelle chouiya le « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », mais cela ne semble déranger personne. Et pourtant…

Dans un pays qui dit vouloir changer, qui veut bouger, il eût mieux valu avoir plusieurs candidatures. On dira ce que l’on voudra de la présidence Mezouar, absent à la sauterie d’hier et néanmoins chaleureusement applaudi (les convenances, toujours…), mais son élection avait du panache. Deux binômes concurrents, des programmes en confrontation, des profils en affrontement, des attaques en cascades, des ripostes qui pleuvent, des alignements, des tensions, des pressions, et au final un suspense. Les patrons de la CGEM ont-ils donc aujourd’hui perdu toute ambition à vouloir présider ? Comment se fait-il qu’il n’y ait eu qu’un seul binôme en course alors même qu’au moins trois s’étaient déclarés avant de devenir aphones suite, murmure-t-on, à des coups de téléphone ?

Aujourd’hui Chakib El Alj est président et Mehdi Tazi est son vice-président. Inconnus du grand public mais reconnus par leurs pairs, ils ont obtenu la légalité...

électorale, ils doivent aujourd’hui conquérir la légitimité morale. Le pourront-ils ? Seront-ils en mesure d’être écoutés par les pouvoirs publics, d’être respectés par les tycoons et les faucons de la Confédération, réputés pour agir en coulisses et tirer les ficelles en subreptice ? Réunis au sein de l’aussi prestigieuse que mystérieuse Fondation CGEM, plusieurs d’entre eux n’étaient pas présents hier, le travail ayant été fait en amont pour avaliser les résultats offerts avec le sourire au public. Mais ils guettent, et veillent sur les nouveaux venus…

Etant ce qu’elle est, la CGEM attire les lumières et les spots. Elle revendique 55% du PIB et près de 100.000 membres indirects. Mais si on ramène ces 55% au vrai PIB national, englobant le secteur informel, agriculture incluse, la CGEM dégringole à quelques 25 à 30% de la création de richesses. Mais elle est omniprésente avec ses puissants membres qui alimentent les caisses de l’Etat, lequel leur témoigne une reconnaissance indéfectible, ayant même consacré la CGEM seul représentant du secteur privé à la Chambre des Conseillers.

La Confédération reste cependant un club de riches et de grosses entreprises, et elle demeure perçue comme telle. MM. El Alj et Tazi ont abondamment causé PME et PMI, éminemment importantes pour le décollage de ce pays ; cela ne doit pas rester au niveau du vœu pieux, ou creux. Faire naître et émerger une nouvelle classe d’entrepreneurs est l’une des conditions essentielles au démarrage, selon Rostow, et cela devra être le fondement de l’action du nouveau binôme, et non plus la chasse aux baisses d’impôts et aux niches fiscales.

Le Maroc est à un tournant, à tous les points de vue. Tous. Une nouvelle vision est en gestation, de futures élections sont à notre porte, et la CGEM entame la décennie avec une nouvelle direction. Il appartiendra à cette dernière de surprendre son monde à la ronde. MM El Alj et Tazi seront-ils en mesure de relever le défi en faisant fi des intrigues et des intérêts claniques? L’avenir proche le dira.

Aziz Boucetta