(Billet 244) – Moratoire constitutionnel ou dortoir institutionnel

(Billet 244) – Moratoire constitutionnel ou dortoir institutionnel

(Suite du Billet 243)… Rédigez une constitution, laissez fleurir des formations, installez des institutions et hélez une population à intervalles réguliers pour une votation… vous obtiendrez sans doute une démocratie, mais vous n’atteindrez pas forcément la prospérité, qui est l’objectif ultime recherché. La prospérité se construit avec le temps, dans le temps, et durant longtemps, et ce ne sont pas forcément des démocrates qui la garantiront. Pour cela, plusieurs voies sont possibles.

Les anciennes démocraties ont bâti leurs systèmes politiques actuels sur plusieurs siècles, avec de grandes remises en question de leurs valeurs morales et des révolutions (ponctuées des massacres et des inévitables guerres) en cascade. Certaines d’entre elles ont dû subir le joug de potentats plus ou moins éclairés mais qui ont assuré la prospérité au forceps (Bismarck en Allemagne, Franco en Espagne, Park ou Lee Kuan Yew en Corée du Sud et à Singapour).

Dans d’autres lointaines contrées, les militants ont fait le coup de poing, voire de feu, contre les dictatures et ont hissé haut les idéaux. On a alors abouti à des systèmes démocratiques, mais sans prospérité, comme dans le Pakistan de la dynastie Bhutto, au Nigéria et dans bien d’autres pays africains, ou encore dans certains Etats latino-américains.

Et au moment même où les puristes de la démocratie continuent d’idéaliser les anciennes démocraties, on constate un certain recul de cet idéal dans ces mêmes pays, avec des troubles, des émeutes, des élections à répétition, de nouvelles formations qui émergent et des populistes douteux qui gambergent, de l’inquiétant M. Trump au loufoque M. Johnson, en passant par le très excité M. Salvini…

Au Maroc, les défenseurs de l’idée démocratique ont raison, dans l’absolu, mais ils omettent ce fait très important que pour une démocratie, il faut impérativement des démocrates, qui soient doublés – ou au moins accompagnés – de technocrates. Dans ce pays qui est le nôtre, nous avons l’un ou l’autre, rarement l’un ET l’autre. Dans les formations où la technicité est présente en force, la pratique démocratique se corse, et dans les partis...

où la démocratie règne (PSU et PJD essentiellement), on manque douloureusement de compétences. Et dans l’un et l’autre cas, tout le monde attend des ordres dans le désordre ambiant.

Que veut le peuple ? Autrefois, c’était du pain et des jeux ; aujourd’hui, c’est la prospérité, qui passe par un service public de qualité, par l’égalité et l’équité, par l’emploi en quantité, et par la dignité. Si tout le monde s’accorde sur le fait que le pouvoir doit revenir au peuple, il est préférable que cela se produise avec une classe politique efficace et efficiente. Aller trop lentement présente le risque d’enlisement social, mais aller trop vite nous plongera dans le péril populiste. Avec les réseaux sociaux, les populistes et leurs sermons faciles ont le vent en poupe et deviennent rapidement des figures de proue, propulsant leurs pays vers les récifs.

Aujourd’hui, 63 ans après l’indépendance et 20 ans après l’arrivée de Mohammed VI sur le trône, le Maroc s’est doté d’une commission de développement, qui doit réfléchir à tous les aspects du développement, politique comprise… politique surtout, car « tout est politique ». Or, la large adhésion à cette Commission Benmoussa n’a d’égale que la très grande désaffection du public pour la politique, avec des taux de participation électoraux qui s’effondrent d’un scrutin à l’autre.

A supposer que les conclusions de la Commission des 36 doivent être mises en pratique par les politiques actuels, qui ont très généreusement donné les preuves de leur incurie, cela manquera au mieux de pertinence, au pire de légitimité, nos dirigeants politiques donnant le sentiment de somnoler dans nos différentes institutions… en attendant toujours les ordres.

En la mettant en place, le roi a exigé un état des lieux sincère et de l’audace dans les recommandations ; l’état des lieux est que la politique, ce n’est pas tout à fait ça (pour être gentil), et les recommandations audacieuses, voire téméraires, est qu’on peut faire sans, quelques années. Chakib Benmoussa et ses 35 camarades ont une (très) sérieuse responsabilité devant l’Histoire et devant les Hommes (avec H majuscules) !

Aziz Boucetta