Zoom n°34 : dépasser la « monnaie coloniale »

Zoom n°34 : dépasser la « monnaie coloniale »

Aux derniers jours de 2019, il a été opéré un véritable coup de théâtre porté par le président français Emmanuel Macron lors de sa visite d'avant Noël à Abidjan. Avec le président ivoirien, Alassane Ouattara, il a annoncé la fin de la « monnaie coloniale », le franc CFA, dans toute la zone de l'Union économique et monétaire de l'Afrique de l'Ouest - huit pays: Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo. Une décision renversante, décidée entre MM Ouattara et Macron.

En fait, depuis un certain temps, on parle d'une nouvelle monnaie pour la zone, qui est examinée par les chefs d'État sous la pression du Ghana qui souhaiterait la relier au yuan chinois. Macron et Oauttara ont dégagé le pont. Ouattara a expliqué qu'il s'agit « d'une décision prise en toute souveraineté ». Le président français, plus pompeusement, a déclaré: « C'est en écoutant vos jeunes que j'ai voulu entamer cette réforme. Le franc CFA catalyse de nombreuses critiques de la France. Vos jeunes nous grondent pour une relation qu'ils jugent post-coloniale. Alors cassons les amarres ». Un premier signe d'un changement de politique française à l'égard des anciennes colonies et, aussi, un soutien clair au président ivoirien.

Dans son livre « Le franc CFA et l'euro contre l'Afrique », l’économiste Nicolas Agbohou décrit le franc CFA comme un « mécanisme de la répression monétaire des anciennes colonies africaines de la France ». Le maintien du Franc CFA, en...

d'autres termes : la camisole de force des pays africains enserrés dans la zone franc, est pour lui la première cause de la persistante misère, de l'humiliation permanente, du sous-développement devenu réalité minérale des pays d'Afrique francophone.

La globalisation des marchés financiers pour lui, est un fait. Rien ne sert de nier l'esclavage contemporain de l'Afrique. Les oligarchies politiques, raciales, religieuses, commerciales, financières et bancaires règnent sur le monde. Elles ont fait un monde à leur image et tant pis pour les victimes. L'oligarchie dispose du destin de la multitude. La masse anonyme des victimes subit impuissante sa propre agonie. Rien ne justifie l'inégalité vécue des êtres, sinon la brutale imbécillité d'une stratification sociale préexistant à leur naissance, sinon les idéologies discriminatoires, sinon les privilèges défendus avec violence.

Agbohou appelle donc à la renaissance, à la revitalisation des mémoires, à l'insurrection des consciences. Quelles humiliations ne subissent-ils pas les Africaines et Africains de cette fin de millénaire !

Le changement de monnaie, qui s'appellera éco et devrait intervenir d'ici 2020, s'accompagnera de deux réformes techniques importantes: l'extinction du compte opérationnel déposé auprès de la Banque de France et le retrait des représentants français présents dans les organes de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest. La monnaie conservera cependant une parité fixe avec l'euro et sa garantie de convertibilité sera toujours apportée par la Banque de France. Tout change car rien ne change.

Mouhamet Ndiongue