(Billet 220) – Oum, le drapeau et les nerfs à fleur de peau

(Billet 220) – Oum, le drapeau et les nerfs à fleur de peau

Comment diable peut-on être ambassadeur de la culture marocaine et mépriser le drapeau marocain ? Et pourtant, c’est ce que vient de faire la chanteuse Oum qui a outragé les couleurs nationales… disent des gens, les nerfs à fleur de peau. Une nouvelle polémique est née, futile et inutile, comme tant d’autres… sauf que cette fois, la réponse a été à la hauteur de l’accusation !

Les faits. Oum, la célèbre artiste bien de chez nous, à la voix envoûtante, auteure-compositrice-interprète de talent, voire de génie, se produisait à Abidjan le weekend dernier, sur la scène du Village du Maroc, 2ème édition du genre. Tout se déroulait normalement, avant qu’un individu monte sur scène, et lui pose un drapeau sur les épaules. Oum le retire gentiment, le garde à la main le temps de finir sa chanson, puis l’étend avec délicatesse, presque tendresse, sur le sol… avant de retirer sa propre cape. Un autre homme monte sur la scène, récupère le drapeau, le brandit et quitte les lieux, sous les discrets vivats d’une partie du public.

Catastrophe : Oum a donc profané le drapeau, souillé l’honneur du pays, insulté les Marocains, méprisé leurs sentiments… Il en faut vraiment peu pour se sentir humilié, sous nos latitudes, et même ailleurs. Mais Oum, contrairement à bien d’autres qui auraient été tétanisés, ne s’est pas laissée faire : elle a publié sur Facebook une réponse absolument splendide, somptueuse !

« A ceux qui ont mal interprété mon geste, sachez que, comme vous, j’aime lever notre drapeau pour soutenir nos équipes lors de compétitions sportives internationales. Mais dans le contexte de mon travail, porter le drapeau sur la scène en chantant sonne comme un pléonasme. Parce que, ma foi, je suis à mon humble niveau une voix et un visage du Maroc ». Elle ne bat pas sa coulpe, ne s’excuse pas, car on ne demande pas l’absolution pour un crime qu’on n’a pas commis ; elle explique, pour ceux qui comprennent, pour ceux qui veulent comprendre et...

même pour ceux qui ont quelque mal à comprendre, que notre amour-propre national est ailleurs que sur un drapeau surgi sur une scène de concert.

Belle gueule, belle voix, bête de scène, Oum fait honneur à la chanson marocaine, à l’art tout court, avec ses sons, ses couleurs, ses rythmes et ses vêtements. Pour ceux qui la connaissent, elle est la fille de l’artiste peintre, par ailleurs érudit, Abderrahim Benessahraoui, bien née dans une famille d’intellectuels qui ne pensent même pas à leur marocanité tant elle est consubstantielle à leur être. La polémique Oum enfle comme une baudruche, puis se dégonfle, en faisant pshiiit…

Disons-le : cette manie consistant à brandir le drapeau quand un(e) Marocain(e) chante à l’extréieur est ridicule. Du chauvinisme de peu, du nationalisme décalé. A-t-on jamais vu Michel Jackson et sa bannière étoilée sur ses frêles épaules, ou Michel Sardou et le drapeau tricolore sur le dos, ou encore Elton John et l’Union Jack flottant derrière lui ? Et puis, comment des inconnus peuvent-ils se promener sur une scène, pendant un concert, allant et venant comme dans une gare, l’un posant un drapeau et l’autre le récupérant ?

Et surtout, avant tout, par-dessus tout, ces Marocains qui aiment tant leur drapeau, comme nous l’aimons tous, pourquoi ne s’offusquent-ils pas de voir leur bannière délavée, déchirée, parfois en lambeaux, décharnée, sur tant et tant d’édifices publics ? Le rouge et vert cabossé de ces drapeaux, voilà comment Oum le sublime, dans sa réponse : « Si mon corps peut rougir de fièvre ou de colère, mon cœur, lui, demeure vert, car serein et plein d’amour et d’espérance ».

Nicolas Sarkozy disait en 2006 « la France, on l’aime ou on la quitte ». Le Maroc, lui, on l’aime mais on le quitte. Ce qui donne lieu à un nationalisme exacerbé, énervé, qui lui-même ouvre sur des « excommunications » abusives et irréfléchies. Oum, sa voix, ses couleurs, son art et ses chansons sont de dignes ambassadeurs du Maroc, drapeau ou pas, nerfs à vif ou non !

Aziz Boucetta