(Billet 219) – La phrase louche de M. Akhannouch

(Billet 219) – La phrase louche de M. Akhannouch

Plus qu’un art, davantage que le talent, la politique est un métier. Ce métier, ouvert à tout le monde, doit aussi être ouvert à l’audace et à l’innovation langagière et sémantique ; c’est ce qu’on appelle communément « les petites phrases ». Or, cette technique doit être utilisée avec modération et après réflexion et concertation car elle implique et convoque les sciences du langage, de la communication, de l’information et de la sociologie politique. Nos politiques s’y essaient, mais avec un bonheur tout relatif.

Ainsi, dire qu’ « il faut refaire l’éducation des Marocains » est l’exemple type de la « petite phrase » ratée… malheureuse et ravageuse. Aziz Akhannouch, inamovible ministre de l’Agriculture et très volubile président du RNI, était à Milan où, comme son habitude ces derniers mois, il a réuni quelques centaines de Marocains du monde, dans ce cas d’Italie. Et il a fait un discours.

Que M. Akhannouch prenne la défense du roi, ciblé dans plusieurs vidéos depuis quelques semaines, on peut admettre, même si le chef de l’Etat n’en ait pas besoin… qu’il martèle qu’il n’y a rien d’autre dans ce pays que « Dieu, la Patrie, le Roi », on est d’accord, puisque la patrie inclut le peuple… qu’il affirme que « celui qui pense pouvoir diffamer ou insulter les institutions du pays n’a pas sa place dans le pays », c’est déjà plus délicat car la déchéance de nationalité n’existe pas chez nous, pas plus que l’exil imposé, et que chez nous seule la justice condamne… mais qu’il cogne en déclarant que « ce n’est pas à la seule justice de faire le job, mais aux Marocains aussi, et nous devons refaire l’éducation de ceux qui n’en ont pas », c’est inexcusable. M. Akhannouch égratigne les parents qui n’auraient pas donné d’éducation à leurs progénitures, et blesse profondément ces dernières. Et les autres, tous les autres !

M. Akhannouch est un puissant homme d’affaires, connu et reconnu. Il est aussi ministre depuis plu...

de 12 ans, et il est patron incontesté du RNI depuis trois ans. Il a contribué, avec le Plan Maroc Vert, à transformer l’agriculture marocaine. Il a réussi à reconfigurer un parti d’appoint en formation coup de poing ; il l’a structuré, réaménagé, capillarisé. Tout cela est fort bien, mais la politique, cela s’apprend, et les prises de paroles se préparent.

Question : La petite phrase de « refaire l’éducation de ceux qui n’en ont pas » a-t-elle été concoctée par les spin doctors de M. Akhannouch ? Quelle que soit la réponse, ils n’ont pas fait leur travail, ils ont démérité, soit en laissant leur patron prononcer un discours improvisé, soit en lui conseillant cette « petite phrase » ravageuse… car la rééducation renvoie à des périodes sombres de l’histoire de l’humanité durant le 20ème siècle. Ce n’est pas au 21ème qu’on va l’importer sous nos cieux.

On ne gère pas un parti comme une entreprise. Dans une entreprise, il n’y a pas de démocratie, c’est l’autorité du chef qui prime. Dans un parti, c’est différent, l’autorité du chef, et accessoirement sa popularité, émanent de sa proximité avec les siens et de son humilité envers les autres. Il appartient à M. Akhannouch d’y réfléchir, s’il veut préserver des chances d’atteindre l’objectif assigné de 2021, en ne décevant personne.

Ce qu’il manque à nos hommes politiques, MM. Elotmani, Akhannouch et Baraka (les autres sont des figurants), c’est du coaching. En effet, avec les réseaux sociaux, la mondialisation de la politique et la maturation de notre jeunesse, les Marocains ne laissent plus rien passer. Il est donc nécessaire de savoir leur parler, avec la considération d’usage, sans provocations, qui seraient alors chèrement payées aux élections.

M. Akhannouch devrait retirer cette phrase sur l’ « éducation à refaire », et s’excuser. Il n’y aurait aucune honte ou faiblesse à le faire, et cela s’appelle du respect. Les Marocains le demandent, l’exigent. Comme tous les peuples, aujourd’hui.

Aziz Boucetta