(Billet 202) – L’amour reste interdit, mais la procréation non !

(Billet 202) – L’amour reste interdit, mais la procréation non !

« 50.000 enfants abandonnés chaque année, et 24 bébés jetés à la poubelle, chaque jour » … Voilà les chiffres donnés par Aïcha Chenna, cette grande dame marocaine qui a fait de la défense des femmes et des enfants le combat de sa vie. Il faut bien relire cette phrase, et surtout sa deuxième partie : 24 bébés jetés à la poubelle, chaque jour… 8.640 par an ! Mais dans cet océan de tristesse et de malheur, peut-être une île, un îlot, de bonheur pour ces enfants…

Comment fait-on pour jeter un bébé à la poubelle ? Dans quel état de détresse psychique doit être cette mère pour en être réduite à cela ? Quelle est cette société qui conduit une parturiente, même pas remise de ses souffrances, à se débarasser ainsi de son bébé ? Et puis, que peut attendre la société d’un nouveau-né qui commence sa vie dans une poubelle, et d’une mère qui a été contrainte de l’y jeter ?

La raison de cette ignominie tient en un élément, la société elle-même, coincée entre religion, tradition et coutume… Dans notre environnement pétri de foi, il est impossible de concevoir la naissance d’un enfant en dehors des liens très sacrés du mariage, et toute relation en dehors de ces mêmes liens est légalement et juridiquement prohibée. Ce qui est, on ne le dira jamais assez, idiot, et allant à contresens de Dame Nature. Et c’est encore plus affligeant que le Code de la famille prévoit la filiation légitime ET illégitime (art. 142 et suivants).

Aujourd’hui, deux forces se donnent la main pour faire évoluer les choses… D’un côté, la société civile, qui trouve...

son prolongement dans le CNDH. Le Conseil vient de soumettre hardiment un mémorandum au parlement pour faire évoluer les choses dans ce domaine, principalement dépénaliser l’amour consenti. De l’autre côté, l’Etat…

En effet, une circulaire de la mère (ou plutôt du père) des ministères, l’Intérieur, parue en octobre, enjoint aux cadres territoriaux de procéder à l’inscription des enfants ayant fait l’objet d’une reconnaissance paternelle, même sans acte de mariage, et aussi aux enfants de père inconnu. Cela n’a l’air de rien, mais c’est révolutionnaire, même si l’Intérieur, modeste, explique qu’il n’a fait qu’un simple rappel à la loi ! L’Etat a donc enfin compris que si deux adultes font un enfant, il ne faut pas laisser une société intransigeante sur l’ordre moral en faire un malheureux, un marginalisé, un laissé-pour-compte… Et c’est heureux, d’autant plus que le gouvernement est « dirigé » par un parti conservateur, qui vient de refuser la série de recommandations du CNDH et qui excelle dans la langue de bois taillée à la tronçonneuse.

En gros, pour notre gouvernement, dont l’Intérieur ne semble pas faire partie, puisqu’il est l’émanation de l’Etat, on ne peut toujours pas s’aimer sans noce ni adouls, mais on peut procréer, en dépit des molosses et de la foule.

Dans une société dont les cadres et non cadres s’en vont vers un ailleurs meilleur et un avenir (si possible) radieux, dans un pays en situation d’attentisme au mieux, de doute au pire, dans une économie poussive en attente d’on-ne-sait-quoi, il est toujours bon de mettre le doigt sur ce qui marche ou qui fait avancer les choses…

Aziz Boucetta