(Billet 192) – Entreprises au bord de la crise de nerfs

(Billet 192) – Entreprises au bord de la crise de nerfs

Le gouvernement marocain rappelle un peu Sisyphe, ce malheureux gars condamné à pousser éternellement un gros rocher jusqu’au sommet d’une colline, qu’il déboulait invariablement avant d’atteindre le sommet. L’entreprise au Maroc, c’est pareil. On déploie tous les efforts, en emploie tous les renforts, on fait crisser ses neurones pour hisser l’entreprise au firmament de l’économie, avant que tout s’effondre de nouveau, appelant à de nouvelles et éternelles réformes.

Ainsi donc, une récente étude d’Inforisk révèle que les défaillances d’entreprises durant les six premiers mois de 2019 s’élèvent à 4.104, contre 3.760 en 2018. Le TPE sont concernées à 98,6% ! Autrement dit, ce sont les petites entités, les plus pourvoyeuses en main-d’œuvre (en principe du moins), qui disparaissent.

Pour notre très optimiste chef du gouvernement Saadeddine Elotmani, il faut po-si-ti-ver ! Et notre homme de brandir, au parlement, une comparaison osée : même si le taux de mortalité humaine augmente, la population ne se réduit pas. Fallait y penser, à celle-là… M. Elotmani explique donc que le taux des défaillances d’entreprises par rapport à la création d’entreprises s’a-mé-lio-re ! En effet, 4.104 entreprises ont disparu, et 21.370 ont vu le jour pour le 1er semestre 2019, nettement mieux qu’en 2018. Bigre… Mais pourquoi donc ces sociétés ne tiennent-elles pas le coup ?

Les raisons sont multiples… Et l’une des principales revient à la sous-capitalisation de ces entreprises, conduisant leurs gérants et/ou propriétaires à vivre de profits qui n’existent pas, et qui donc n’existeront jamais. L’autre raison, tout le monde la connaît mais personne n’ose vraiment en causer : il s’agit du secteur bancaire. Il aura fallu un discours solennel du...

chef de l’Etat, qui reprend la perception négative de l’opinion publique sur les banques, subjuguées par le profit rapide, pour que nos banques pensent à sortir de leur torpeur et de ne plus seulement prêter qu’aux riches !

Par ailleurs, le fisc et la CNSS ont fait leur job, recueillant des informations à donner le tournis, s’informatisant à tour de bras, et imprimant en conséquence un sérieux tour de vis aux finances des entreprises, habituées à ne rien payer mais à demander le maximum. Le problème est que si ces deux institutions sont dans leur droit, ce sont les entreprises qui en pâtissent, et l’emploi avec elles, et l’espoir au final. Enfin, les délais de paiement… 22 jours de moins certes qu’en 2017 pour le paiement des entreprises publiques, mais cela laisse néanmoins 56 jours de retards de règlement, presque deux mois. Et plus de 16 milliards de dettes non honorées, et des trésoreries étranglées, étouffées, agonisantes.

Mais la raison la plus importante est que le Marocain semble ne pas être un entrepreneur accompli. Il est historiquement commerçant, négociant, rentier, fermier, usurier, mais pas entrepreneur au sens schumpétérien du terme, preneur de risques et créateur d’idées nouvelles. Ceux qui le sont ont été formés à l’étranger, et en général y restent. L’Etat a un rôle d’instruction à remplir.

Le BTP est l’un des secteurs les plus atteints par les défaillances. Or, comme on dit, quand le bâtiment va, tout va… et, à l’inverse, quand le bâtiment croule, le reste s’écroule… Et c’est notre drame. L’Etat fait ce qu’il peut, mais fait-il ce qu’il doit ?

Aziz Boucetta