(Billet 188) – Printemps à plein temps en terres arabes, et ailleurs…

(Billet 188) – Printemps à plein temps en terres arabes, et ailleurs…

2011, c’est loin, mais cette année et son esprit frondeur sont toujours là, sauf que 2011 s’est réinvitée, puis généralisée à un peu partout dans le monde. On peut même dire que 2010 fut la dernière année calme (sur le plan politique du moins), après laquelle les peuples ont pris la singulière mauvaise habitude d’investir les rues et d’envahir les villes à chaque fois qu’on les titille ou qu’on les houspille. En 2011, les Arabes étaient à la manœuvre ; en 2017 ou 2018 ou 2019, tous les peuples sont à l’œuvre, contraignant leurs gouvernants à jouer désespérément aux éoliennes qui changent avec les vents contraires et contrariés.

A Hong Kong, les gens veulent un Etat certes, mais où le nouveau Grand Timonier se montre moins acrimonieux. Les Hongkongais sont à mille lieues des pratiques politiques de l’Empire du milieu. Au Chili, le gouvernement a décidé de relever le prix du ticket du métro, ne réussissant qu’à relever le seuil de la contestation. En Equateur, le gouvernement a voulu augmenter les prix des carburants, avec l’effet immédiat de jeter les gens dans les rues. En Catalogne, le gouvernement central de Madrid a pris sur lui de hisser le niveau de fermeté contre les indépendantistes catalans qui, irascibles et violents, cassent tout…

Dans tous ces pays, les peuples descendent dans les rues, et y restent. Criant, chantant, vitupérant, mettant les choses au point, au besoin faisant le coup de poing, sur les boulevards ou dans les ronds-points. Les réseaux sociaux sont là pour apporter la résonnance des mouvements d’humeur, mauvaise soit-elle ou bonne.

En terres arabes, on assiste à un second printemps...

à plein temps. Le Soudan a bouté al-Bachir hors de ses palais pour l’expédier au palais de justice et, un peu au-dessus, il a fallu la souriante férocité de Monsieur le Maréchal Sissi pour étouffer la révolte… et quelques manifestants aussi. En Irak, les gens s’énervent, au Liban, les populations sont en verve. Quant à l’Algérie, le chef d’Etat (major) Ahmed Gaïd Kalakh y confond l’économie et ses économies, démocrate et démocrade. En Saoudite, toute velléité de contestation a été sonnée après avoir été tronçonnée.

Qu’a-t-il donc pris aux peuples pour se rebuffer aussi régulièrement, tout le temps et partout, en colère contre tout et tous ? Une combinaison entre la révolution numérique renforcée par la téléphonie et les messageries, l’autisme des gouvernants, saupoudré d’un peu de mépris et de condescendance, les inégalités entre des riches encore plus riches et des pauvres toujours plus pauvres… et la théorie des dominos.

Quel est ce pays qui peut aujourd’hui raisonnablement clamer et proclamer qu’il est immunisé contre ces mouvements de plus ou moins grave intensité ? Quelle est cette société qui n’est pas traversée par des courants antagoniques, souvent colériques ? Quelle est cette jeunesse qui, de par de monde, n’est pas stressée, compressée, et donc oppressée, et qui se sent comprise par ses dirigeants ?

La jeunesse de tous les pays doute de son existence et redoute son avenir ; elle est intraitable et imaginative. Elle casse les codes et impose ses modes. Elle fédère et agrège les mécontentements de ses aînés, plus réticents à se rebeller, mais qui finissent par se rebeller. A l’avenir, le choix se situe entre écouter la jeunesse, ou la « subir ».

Aziz Boucetta