(Billet 183) – Libertés individuelles : les deux camps convergent désormais

(Billet 183) – Libertés individuelles : les deux camps convergent désormais

A l’inverse des pays voisins où les revendications populaires sont de nature politique, au Maroc, les débats portent un peu sur l’économie et surtout sur la société, ainsi que les règles qui la régissent. Le Maroc – ou du moins une partie de sa population – s’est passionné pour l’affaire Hajar Raïssouni et pour la question des libertés individuelles, et là, il importe de relever les rapprochements des points de vue entre les deux principales composantes de notre société que sont les conservateurs et les « progressistes ».

A partir de l’instant où une population croit dans ses lois et surtout dans son système juridique qui permet des évolutions juridiques, tout est possible… Il suffit juste y croire, mais ce n’est pas gagné ! La société marocaine affiche cependant une certaine vivacité dans ses revendications et ses postures morales. L’affaire Hajar Raïssouni (et des deux autres personnes condamnées et incarcérées avec elle) montre que la grande question des libertés individuelles enregistre des avancées notables, du moins sur le plan des revendications strictes des uns et des évolutions lentes des autres.

Et ces progrès sont naturels, parce que ces libertés, en plus d’être fondamentales, sont irréfragables.

Or, une fois n’est pas coutume, ce sont les tenants du conservatisme et ceux qu’on qualifie communément d’islamistes qui font le plus évoluer leurs positions. Ainsi d’Amina Maelainine, députée vedette du PJD, ou encore d’Abderrahim Chikhi, le président du MUR, qui veulent faire bouger les lignes dans leur camp. Les deux ont appelé à la réflexion, sereine, dépassionnée sur le sujet des relations sexuelles hors mariage, entre adultes, jeunes soient-ils ou non…

Par ailleurs, les « modernistes », défenseurs assumés et sincères des libertés individuelles, prennent leur contrepied en s’inscrivant (pour une grande partie d'entre eux)...

dans une démarche plus agressive, quasi hautaine, prenant à témoin une presse étrangère volontiers condescendante et dont les objectifs sont ailleurs… Et pourtant… si Mme Maelainine et M. Chikhi déclarent en public que les choses doivent et peuvent évoluer, c’est qu’ils ont finalement admis que la société a elle-même muté, ou est en cours de mutation, et que des lois liberticides ne peuvent plus s’imposer à ses membres. En plus d’être impossible, cela serait stupide !

Il est regrettable de constater qu’aucune passerelle n’ait été jetée entre ces deux franges de la société, aux fins de parler d’une même voix, après avoir rapproché les points de vue et resserré les écarts entre elles. Les uns disent du bout des lèvres, tout en s’en défendant, que les relations consenties entre adultes non mariés devraient être libérées… et les autres exigent hic et nunc la levée des interdictions sur tout, le sexe hors-mariage, l’adultère, l’homosexualité, l’avortement, même s’ils ont tempéré leurs ardeurs initiales et s’inscrivent davantage dans une logique juridique et institutionnelle. Du dialogue désormais possible entre les deux naîtra la solution progressive vers tout.

Une question sociétale ne peut être réglée que dans la société qui la vit, sans apport extérieur, naturellement biaisé car mal informé, mal documenté, ou même mal intentionné, en plus d’être hermétique aux fondements des courants de pensée locaux et à leurs évolutions complexes. Il est donc, plus que jamais, nécessaire, de créer des canaux de discussion entre les deux principales composantes de la société marocaine qui, sur la question des libertés individuelles, ont tendance à converger. Un débat national entre les deux camps est plus que jamais nécessaire.

Et dans l’intervalle, les trois détenus de l’affaire Hajar devraient retrouver leurs chaumières !

Aziz Boucetta