(Billet 159) – La chimère du vote obligafoire

(Billet 159) – La chimère du vote obligafoire

Dans la pratique démocratique, la population est appelée à s’exprimer à intervalles réguliers par le vote ; les gens peuvent voter pour tel ou tel autre parti, voter blanc ou ne pas voter. Le dernier cas est l’abstention. Au Maroc, le taux des abstentionnistes est de plus en plus élevé et l’inquiétude des partis et des autorités aussi. Alors on a trouvé la solution : puisque ces électeurs ne veulent pas aller aux urnes, obligeons-les à le faire !...

… Sauf que l’exercice est périlleux. Si la population opte pour l’abstention politique, c’est d’abord et avant tout pour répondre à l’abstinence éthique des partis. Et ce sont les formations dites du mouvement national qui, voici quelques années, avait quémandé l’instauration du vote obligatoire, voyant venir, ou plutôt ne pas venir, l’électeur. Celui-ci, avec le temps politique et la pratique des politiques, est passé de la désillusion au désintérêt, avant de basculer dans le désamour. Définitivement, ou au moins pour très longtemps.

En théorie, l’obligation du vote s’applique pour éviter une crise de représentation populaire. Or, au Maroc, comme on ne fait jamais rien comme tout le monde au nom de la fameuse exception marocaine, la crise de représentation est déjà là, mais du fait des représentants davantage que de celui des représentés. Alors les premiers, fort marris et usant de leur art consommé au rebond, veulent contraindre les seconds. Ils ne réussiront en fait qu’à admettre et aggraver leur échec.

La constitution dispose en son article 30 que « le vote est un droit personnel et un devoir national ». L’expression « droit personnel », quoique limitée...

par le mot « devoir », implique que le citoyen peut choisir d’exercer, ou pas, son droit de vote ou, au moins, que le débat est possible. Mais les politiques, réunis en conclave avec des esprits pas toujours fulgurants, sont péremptoires : le vote devrait devenir obligatoire, au risque que le tout s’annonce foireux, même en cas de révision du mode électoral, du seuil, de tout…

En effet, car que fera dans ce cas le citoyen si on l’oblige à se déplacer à l’insu de son plein gré ? Il obtempérera, furieux, et se rebellera… de diverses manières : voter pour tout le monde, ou pour personne, raturer le bulletin, le conserver par-devers soi, voyager le jour du vote ou se faire porter pâle (un certificat sonnant et trébuchant ne devrait pas poser de problème) … Et à supposer que l’Etat s’entête, le vote obligatoire n’aura alors de sens que s’il s’engage à révéler les chiffres des bulletins blancs ou nuls… Mais osera-t-il le faire ? Rien n’est moins sûr ; le petit jardin secret doit le rester…

Il serait plus avisé d’exiger plus de sérieux et d’intelligence des partis politiques qui, en usant abusivement d’intox pour séduire et de botox pour s’embellir, n’auront réussi au final qu’à s’aliéner les citoyens. En obligeant ces derniers à aller au vote, on n’obtiendra que des électeurs qui rotent. Il serait meilleur et infiniment plus ingénieux, puisque la logique de la contrainte est là, d’obliger les partis à se mettre au diapason de la population. Mais là est le problème, et le retour à la case départ.

Aziz Boucetta