(Billet 157) – Vie privée des femmes, femmes privées de vie

(Billet 157) – Vie privée des femmes, femmes privées de vie

Le Maroc s’apprête à réaliser cette incroyable prouesse qu’est le lancement d’un nouveau modèle économique… sans les femmes. Développer toute une nation en jetant le voile sur la moitié de sa population, voilà le défi impossible que nous nous préparons à relever, pour perdre notre temps. Et pourtant, les femmes sont là, pilotes ou vendeuses, femmes d’affaires ou de ménage, mères au foyer ou ministres, elles sont tout, partout, et peuvent être tout, jouissant des mêmes droits que les hommes. Sauf que tout cela est sur le papier ; la réalité est autre, et la précarité est profonde.

Pour obtenir la même fonction ou la même responsabilité que son congénère masculin, une dame doit jouer des coudes, prouver plus, travailler davantage, endurer encore, subir toujours… et rester femme, dans l’imaginaire populaire, quel que soit la nature ou la catégorie sociale du populo. Au Maroc, la femme et l’homme ne sont pas égaux, malgré la constitution et les institutions ; seules les idées noires et la vie repeinte en rose priment…

Quand des personnages, plutôt abrutis, surgissent dans les ondes des radios et commencent à débiter leurs inepties misogynes, ne suscitant que de timides levées de boucliers, on serait en droit de se poser des questions sur la place réelle des femmes dans la société. L’un dit qu’il faut battre son épouse pour être un homme, et l’autre conseille à une dame de s’occuper de sa cuisine et de ne plus se préoccuper de foot, et les deux, rompus aux médias, ne sont pas suicidaires ; ils parlent à un public acquis qu’ils caressent dans le sens du poil… Qui dit pire ?

Au Maroc, il est interdit d’avoir des relations...

sexuelles hors mariage. C’est moyenâgeux mais c’est comme cela. Alors, si une grossesse, forcément non désirée, intervient, la femme est privée du droit de disposer de son corps, surtout que souvent, le géniteur a disparu. Pour la future mère malgré elle, c’est double peine, triple peine et peine perdue… faire l’amour, interdit, accueillir une vie dans ses entrailles, devoir s’en séparer, et le faire clandestinement… parfois, en se retrouvant en taule. Voilà le sort réel des femmes.

Pour l’héritage, nos dames sont très souvent la moitié d’un homme (au sens pécuniaire, pas littéraire) et il en va de même pour le témoignage, où deux femmes sont requises, pour un homme… Tout le monde s’accommode de cela, même en feignant de s’en offusquer. Car sous des dehors progressistes, on reste réac’. Ainsi, par exemple, il faut deux Rahma Bourqia pour valoir un seul Adil Miloudi…

Question : Pourquoi la législation passéiste au Maroc n’évolue-t-elle donc pas ? La réponse est simple : Parce que la société accepte largement cet état de fait, malgré les protestations de la très fragile frange moderniste de la société, frange qui, une fois à l’épreuve d’une grossesse « malvenue », c’est-à-dire sans acte de mariage, sans « autorisation de coucher », voit souvent ses « convictions » modernistes s’envoler... Les hchouma et le hram, la honte et le drame surviennent, et balaient toutes les convictions hurlées.

Au Maroc, un ménage sur cinq est pris en charge par une femme, 18% des femmes seulement travaillent (contre 26,4% en 2012), et près de 80% sont en âge de travailler et ne cherchent pas d’emploi. L’envie n’y est pas, les conditions non plus. Bon courage pour le développement économique dans ces circonstances !

Aziz Boucetta