(Billet 149) – Récit national ou raccourcis historiques ?

(Billet 149) – Récit national ou raccourcis historiques ?

Il ne faut pas confondre récit et récitation, même si les deux termes sont de la même famille. Anonner des faits en enfilade, sans fil conducteur, conduit directement à l’impasse voire, pire, à l’ignorance de ce que nous sommes. Un récit doit être cité, non récité, car ainsi, on ne retient rien, et on rejette tout. Un récit est autrement plus parlant, et un récit national est infiniment plus prestigieux, et émotionnel, car convoquant notre imagination en imageant notre passé et nos ancêtres.

Qu’est-ce qu’un récit national ? Partant de l’idée que la nation est LE cadre d’identification majeur d’une collectivité et d’un individu, un récit national est une formule qui désigne la narration de l’histoire d’un pays, fortement teintée de patriotisme ; ce concept a été inventé par les historiens du XIXe siècle pour permettre, en la valorisant, la construction de la nation.

Le Maroc a un passé prestigieux. Il est avec le Japon le plus vieux pays au monde dans sa géographie et sa structure politique actuelles, même si l’Etat-nation ne soit apparu que bien plus tard. Le Maroc a une grande Histoire, mais qui la connaît ? Comment la valoriser ? Des Berbères et des Juifs pour commencer, puis de grandes épopées, de folles équipées, des guerres et des résistances, et l’arrivée des Arabes, l’avènement des Berghouata, la (longue) période andalouse… et ensuite une bonne demi-douzaine de dynasties, jusqu’à l’actuelle, les Alaouites.

Le Maroc fut un empire, qui guerroya contre les Africains, qui ferrailla avec les Européens, qui lança ses corsaires contre les navires des uns et des autres, qui eut ses esclaves, qui établit des relations avec les grands pays du monde. Mais que retenons-nous de cette grande histoire ?...

Que le Maroc fut le premier pays à reconnaître les Etats-Unis… Que Moulay Ismaël avait souhaité convolé avec la digne fille de Louis XIV ? On le saura, à force de le répéter ad nauseam.

Observons les Turcs, les Espagnols, les japonais, les Chinois, les Français, les autres, beaucoup d’autres… qui exaltent leur passé pour assurer leur présent et se rassurer quant à leur futur. La France est une république, mais elle glorifie ses « Rois de France » et elle magnifie Napoléon. La Russie a eu son passé soviétique et elle est aujourd’hui une république, un peu tsariste certes, mais république, et cela ne l’empêche pas de puiser sa fierté dans ses grands tsars bâtisseurs. Et le Far West aux USA, la Cité Interdite en Chine…

Nous sommes à la période de commémoration des grandes batailles d’Anoual, dans le Rif, en 1921, et des Trois Rois, dans le Loukkos actuel, en 1578 (image), deux batailles qui avaient conduit à des bouleversements géopolitiques d’importance. Qui le sait ? Pas grand-monde, et pas grand-monde ne le saura jamais si nous n’exaltons pas notre histoire dans les manuels scolaires, si nous ne réalisons pas de films – des vrais – sur ces grandes épopées, si nous ne faisons pas intervenir la culture pour cultiver notre patriotisme, si nous continuons à considérer que notre histoire se limite à l’indépendance et à ses héros, royaux ou pas…

A défaut, nous en serons toujours à exiger tout de notre pays, hic et nunc, avec mauvaise humeur, sans nous douter que nous faisons partie d’une grande nation… Et à défaut, de partir sous d’autres cieux, plus cléments, plus profonds où, étrangement, l’Histoire est connue de tous.

Aziz Boucetta