Le RNI veut soigner la santé publique, et en vise le ministère

Le RNI veut soigner la santé publique, et en vise le ministère

Ils sont environ 750 participants, 750 médecins (ou presque) à être venus des 12 régions du Maroc pour causer santé avec le RNI. Cela a certes l’air d’une pré-campagne électorale, mais cela a aussi et surtout le mérite de mettre le doigt sur la plaie, ou plutôt les plaies, de notre système de santé. La grande problématique est ainsi posée et discutée avec des professionnels.

Et c’est le Dr Nabila Rmili, médecin-cheffe de l’Organisation (RNI) des professionnels de la santé qui ouvre le bal et, après une présentation exaltée, appelle les professionnels de la santé à intégrer la politique et le domaine politique, surtout l’action politique. Il y a des choses à faire et d’autres, beaucoup, à défaire, et le parti dirigé par Aziz Akhannouch semble vouloir faire le job.

La rencontre est organisée autour de deux panels, le premier dédié aux professionnels du secteur, ministère, experts et médecins, et le second est plus orienté sur la politique interne du RNI en matière de santé.

Ce premier panel voit la participation du Pr Hicham Najmi, secrétaire général du ministère de la Santé, l’expert en droit de la santé Saâd Taoujni, le docteur Mohamed Chahbi et le chef du groupe parlementaire RNI Kamil Taoufiq.

Ainsi donc, le Pr Hicham Najmi, urgentiste et SG du ministère, rappelle que la santé est un droit constitutionnel, ici comme ailleurs, et à ce titre, le ministère doit prendre en considération les bouleversements qui rythment la santé dans le monde : mutation et transition démographique et épidémiologique, généralisation de la couverture universelle…. Le Maroc souhaite atteindre globalement les Objectifs du développement durable (ODD) en 2030, qui a des cibles, dont la santé, concernée par 8 Objectifs. Dès lors, un certain nombre de mesures et des ruptures réelles sont à opérer.

Et d’égrener les chiffres du secteur au Maroc : Une espérance de vie moyenne de 75 ans à la naissance, un taux de mortalité maternelle passé en quelques années de 112 à 72 pour 100.000 naissances ; en outre, avec la construction de plusieurs CHU (Centres hospitaliers universitaires), l’offre de soins s’améliore. Mais il y a des contraintes, essentiellement sociales, car les exigences sont accrues.

Ainsi, ces contraintes sont de plusieurs ordres, culturels mais aussi géographiques, avec des inégalités géographiques et économiques. Il existe également des contraintes financières car il faut des moyens matériels pour appliquer la politique publique en matière de santé.

En matière de chiffres, le Pr Nejmi met en exergue certaines données sur la transition épidémiologique… 34% de charges de mobilité sont liées à des maladies transmissibles, comme la tuberculose… 10% sont dues aux accidents de la route, soit 11 milliards de DH. De plus, en matière de personnels de santé, on relève que pour 1.000 habitants, le Maroc ne dispose que de 1,51 personnel de santé, contre 4,5 préconisés par les ODD, en plus de seulement 0,9 médecin pour 1.000 habitants…

Pour les dépenses de santé par habitant au Maroc, elles s’élèvent à 160 $ par habitant et par an (en Algérie, ce sont 292 $, et 400 $ au Liban), ; le département de la santé représente 7,7% du budget, au lieu de 12% du PIB pour les ODD… Enfin, les dépenses de santé au Maroc sont prises en charge à hauteur de 51% par les ménages (beaucoup plus selon l’OMS)…

En conclusion, le Pr Nejmi recommande d’améliorer la gouvernance au niveau central (en promulguant, par exemple, et vite, une loi-cadre sur la santé), de refondre le système d’assurance maladie, d’organiser des parcours de soins pour les gens, de donner plus de visibilité aux généralistes, d’aller vers la médecine de famille comme spécialité, et de donner plus de prérogatives aux régions.

Saad Taoujni… Cet expert, qui figure parmi les meilleurs connaisseurs du royaume en matière de santé, explique d’emblée que la couverture sanitaire universelle (CSU) au Maroc est fort complexe, avec plus de 40 organismes, que vient compliquer un admirable désordre législatif. M. Taoujni ajoute que le système RAMED n’est pas inscrit dans la couverture médicale, car il ne dispose pas des moyens requis, sachant que la partie payée...

par les Ramedistes est très élevée, à hauteur de 4,5 milliards de DH. De plus, la loi sur l’AMO (assurance maladie obligatoire) est à ses yeux une réformette car elle concerne 200.000 personnes (les parents) au moment où le royaume a de sérieux problèmes avec 35 millions d’habitants.

Il faut uniformiser les systèmes, et instaurer les égalités entre salariés du privé et fonctionnaire (voir tableau ci-contre), puis mettre en place une caisse unique, afin d’aller vers un système de financement qui permettra aux gens de se soigner sans s‘appauvrir

Arrive alors le Dr Chahbi Mohamed, ophtalmologue et fondateur de la Clinique de l’œil, qui assène d’entrée de jeu que la santé ne semble pas être prioritaire, avec un cruel déficit en médecins (7.000 qui manquent) et 6.000 médecins marocains exerçant à l’étranger. Il déplore en outre l’absence de décrets d’application de la carte sanitaire alors même que cela est une urgence.

En effet, il existe au Maroc 23.000 médecins avec un besoin d’au moins 30.000, ce qui donne 0,9 médecin pour 1.000 (contre entre 3 et 4 vraiment nécessaires), et seulement 30 lits pour 1.000 habitants. Le pays produit moins de 2.000 médecins par an contre 3.300 nécessaires, sans compter la formation continue, importante mais insuffisante (voir ci-dessous les insuffisances et inégalités territoriales).

Le Dr Chahbi préconise de suivre le modèle cubain, avec une politique de formation de médecins qui figure parmi les meilleurs au monde. L’île a produit 20.000 médecins venant de 123 pays, et 11.000 jeunes en provenance de 120 pays y suivent une carrière médicale.

En conclusion, l’ophtalmologue appelle à des incitations fiscales pour les médecins afin qu’ils ne quittent plus le pays, et préconise la création d’une sorte d’agence nationale, une haute autorité de la santé qui superviserait et contrôlerait les process de formation et d’exercice des médecins.

Quant au député RNI Kamil Taoufiq, chef de son groupe parlementaire, il est… promoteur immobilier, donc pas très au fait de la problématique médicale. Mais il dira cette chose très intéressante et nouvelle pour un parti : il s’adresse à M. Taoujni et lui propose de travailler ensemble dans une sorte de contribution externe-audit, qui aiderait le parti à y voir plus clair et à pouvoir élaborer la politique idoine. Et la suivre.

La parole étant donnée à la salle, on retiendra l’intervention du Dr Hassan Afilal, vice-président de l’association des cliniques privées, qui tonne que « les chiffres du ministère sont faux ! », et qu’il faut cesser les discours populistes et le copiage des lois étrangères, inadaptées aux réalités locales.

 

On voit donc bien que la problématique de la santé dans le pays n’en finit même pas d’être diagnostiquée, et que donc les politiques publiques efficaces tarderont à être mises en place. Le RNI, lui, se fait fort de relever le défi ! Son président, Aziz Akhannouch, prenant la parole, reconnaît que le secteur va mal, très mal, et que la source de tous les maux est la mauvaise gouvernance, et que la solution à nombre de maux est l’instauration du médecin de famille, qui connaît les membres d’une même famille et peut donc mieux orienter ses soins.

M. Akhannouch martèle la volonté du RNI de prendre en charge dans l’avenir le département de la santé, confié depuis 2011 au PPS et avant à l’Istiqlal. C’est courageux, mais ça ne fera pas plaisir aux gens du PPS… « Si nous gagnons en 2021, ou si nous participons au futur gouvernement, je m’engage au nom du parti à demander le portefeuille de la santé», a martelé le ministre de l’Agriculture.

En compagne électorale résolue et assumée, le RNI accumule les points, en en retirant aux autres partis, amis (PPS), « amis » (PJD) ou « adversaires » (Istiqlal) et adversaires (PAM). Nul n’ignore que l’alliance avec le PJD est conjoncturelle et éphémère, et le RNI table sur une future alliance avec les Istiqlaliens de Nizar Baraka, ce qui lui permet d’agir clairement et d’avancer à découvert.

Aziz Boucetta