Est-il (encore) possible de sauver les médias au Maroc ?, par Aziz Boucetta

Est-il (encore) possible de sauver les médias au Maroc ?, par Aziz Boucetta

L’Homme est un être social et sociable, et a donc besoin d’être informé sur son environnement. Depuis des siècles, il a trouvé la solution, avec différentes formes de ce qu’on appelle aujourd’hui les médias. Ces derniers, en perpétuelle évolution et en constante transformation, ont atteint aujourd’hui un stade d’étranglement économique qui oblige les uns et les autres à la réflexion sur le nouvel modèle économique qui leur permette de continuer d’exister.

L’équation est simple : la société a besoin de médias, mais l’économie ne permet plus aux médias de fonctionner librement. Quoi faire et comment faire ? Notre éminent confrère Naceureddine Elafrite a publié voici quelques jours une analyse approfondie sur la situation des médias au Maroc, sur leur nature et sur leurs problèmes, esquissant une solution de sauvetage du secteur.

Pour lui, le marché du lectorat s’étant tari en raison de l’arrivée du web, et celui de la publicité ayant suivi pour la même raison, il s’agit, en plus de la subvention publique qui doit exister mais en restant limitée pour ne pas réduire l’indépendance du secteur, d’impliquer le secteur privé. Mais celui-ci, pour agir, doit avoir de la visibilité et des perspectives positives. D’où la nécessité de rendre les médias attractifs aux investisseurs… Les investisseurs en question sont soit des actionnaires qui apportent du capital, soit des annonceurs qui lancent des campagnes de publicité.

En effet, aujourd’hui, rares sont les médias qui existent et prospèrent sans l’assistance du privé. Directement par la publicité, ou indirectement par des contrats de partenariats aux formes diverses. Il s’agit bien d’une assistance car les « services » offerts par les médias peuvent être bien plus intéressants pour ces gens du privé s’ils passaient par d’autres canaux, ceux du web principalement.

La crise du secteur étant mondiale, il convient d’observer ce qui se produit ailleurs... Ailleurs, les médias n’ont pas pu développer un modèle économique qui les rende « attractifs », car les mêmes maux dont souffrent les médias au Maroc frappent leurs confrères dans le monde. Alors, le secteur privé, le grand capital pour tout dire, s’est invité et a développé des pôles médiatiques… sauf que ces pôles ne recherchent pas le profit. Ils œuvrent autant que faire se peut pour assurer tout juste les équilibres, ce qui est d’ailleurs rarement le cas. Car, comme le rappelle si justement Naceureddine Elafrite, « si l’information n’a pas de prix, elle a un coût », et on pourrait ajouter que comme pour toute chose, la qualité a une relation proportionnelle avec le prix : plus l’information est riche et de qualité, et plus elle coûte cher. Qui va payer l’ardoise ? Là est la question.

Le secteur privé occidental assume. Les grands journaux, même avec moins de lecteurs, continuent d’exister et de fonctionner, d’informer, d’enquêter, d’analyser et même de déranger, avec le capital du privé. Celui-ci, toutes choses étant...

perfectibles par ailleurs, joue le jeu de l’argent et de la neutralité car, pour fonctionner, un média a besoin de son indépendance éditoriale. Et même si celle-ci se heurte au caractère naturellement et profondément peu démocratique d’une entreprise, un seuil d’équilibre est toujours trouvé entre les salles de rédaction et les conseils d’administration.

Il revient au secteur privé marocain d’emboîter le pas à son « aîné » occidental. Car en ce monde numérisé et anonyme où les attaques peuvent venir de toutes parts, et viennent de toutes parts (rappel campagne du boycott économique et du blocage politique), « rien ne peut mieux combattre une fake news qu’une true news », rappelle encore Naceureddine Elafrite. L’enjeu n’est donc plus le modèle économique ou l’attractivité, car les médias ont un rôle qui dépasse la logique du profit ou de l’équilibre comptable ; leur importance est dans l’offre qu’ils apportent en termes d’idées dans un monde qui commence dangereusement à en manquer.

Il existe quatre manières pour les entreprises d’investir dans les médias :

1/ La prise de contrôle directe, à travers la création d’un pôle médiatique ;

2/ L’affectation d’une enveloppe publicitaire significativement plus importante, par l’augmentation du budget communication ou par la réduction de la part accordée aux grandes plateformes internationales ;

3/ La signature de partenariats d’accompagnement éditorial, quand l’entreprise pourrait le requérir de par son activité ;

4/ L’élaboration d’une convention public-privé pour renforcer le Fonds dédié au secteur médiatique, aujourd’hui alimenté à hauteur de 60 millions de DH par le seul Etat.

Il ne s’agit pas ici, pour les trois premiers points, d’une « offre à la carte », où une corporation médiatique, dont les contours et les membres légitimes seraient difficiles à arrêter, se constituerait pour aller se présenter comme telle et exiger sa « part ». Chaque entreprise aura toute latitude pour établir son choix des supports avec lesquels elle travaillerait. Les règles du jeu ayant changé, le capital étant aujourd’hui le facteur dominant, les Etats, les entreprises et les sociétés étant sous la menace permanente des nouveaux « créateurs de l’information », il est de leur intérêt à tous de contribuer à un secteur médiatique fort, à défaut d’être puissant, comme jadis. Les règles de fonctionnement de la société doivent donc également changer et évoluer, par l’imagination de solutions et l’innovation.

Il appartient encore au secteur privé de se réunir avec la profession, et la puissance publique, pour accepter l’idée de sa nouvelle mission (je dis bien mission) et examiner les moyens de la remplir. Un pays, c’est une société, un environnement, des gens, des enjeux ; si tout est prodigué au secteur privé pour qu’il prospère, il ne faut pas oublier que c’est grâce à l’action combinée de l’Etat et de la société. Le privé doit contribuer à son tour, aujourd’hui plus que jamais, où l’information est devenue une arme de guerre, et où être désinformé signifie le plus souvent être aussi désarmé.