(Billet 95) – A Casablanca, 15 librairies, 1 médiathèque… et 15.000 cafés !

(Billet 95) – A Casablanca, 15 librairies, 1 médiathèque… et 15.000 cafés !

Au Maroc, la culture est le parent pauvre, et même très éloigné, de la politique nationale. Avec un budget gouvernemental confondant d’humilité et un intérêt quasi nul de nos compatriotes pour la lecture, l’avenir ne s’annonce pas très rose. Et pourtant l’Etat devrait savoir qu’il ne peut y avoir de futur sans culture et sans lecture…

Ainsi donc, à Casablanca, en 1987, on comptait quelques 65 librairies. Aujourd’hui, il n’y en a même pas 15, le reste ayant basculé en cafés ou magasins de nippes et de fripes… Sur le plan national, on pourrait, avec une audace inouïe, avancer le chiffre d’une centaine de librairies. Pour les bibliothèques, ce n’est pas mieux… A Casablanca, une seule médiathèque digne de ce nom, celle de la mosquée Hassan II, mais elle est si peu fréquentée qu’on y entendrait une mouche pleurer, et près de 70% des écoles estampillées MEN ne disposent pas d’une salle de bibliothèque !

En face, l’activité du « café » prospère… 200.000 établissements au Maroc, dont 15.000 pour la seule ville de Casablanca. 15 librairies, 1 médiathèque, et 20.000 cafés : la cause est entendue, voire même tendue quand on connaît les chiffres de lecture de la presse papier : 200.000 exemplaires vendus par jour dans le royaume, soit un peu glorieux, voire honteux 0,5% de la population…

Passons sur les festivals… quelques centaines d’événements du genre, mais sous-capitalisés, sous-évalués, en un mot, sous-estimés. Véritables véhicules du Maroc profond,...

ils manquent de fonds, et les bailleurs de ces fonds bâillent aux corneilles quand on requiert leurs deniers… sauf quand il s’agit de bling bling, ou qu’il y ait un dring dring… Quant à la production littéraire, elle survit aussi, exsangue et étranglée… 3.000 documents, dont 2.000 livres. Avec un tableau aussi riant, il n’est même pas besoin d’entrer dans le détail, sous peine de dépression.

Résultat aussi logique que dramatique : le Marocain ne lit que deux minutes par jour, et l’Etat, poussant loin la frontière du sacrifice, accorde à la Culture 0,25% de son budget (Communication incluse), contre 0,53% en Algérie et 0,70% en Tunisie… Tout cela manque cruellement de volonté politique. La raison est simple : hormis un chef de gouvernement érudit et auteur prolifique, nos dirigeants faits de Ponts et de pontes ne donnent absolument pas l’impression d’être des rats de bibliothèques…

Et pourtant, il suffit d’écouter Neila Tazi et Abdelkader Retnani, de la CGEM, hurler pour la réhabilitation de la culture dans ce pays, et de comprendre (un peu) le somptueux propos de la sociologue Rahma Bourqia aux Assises de la fiscalité sur le rôle de la culture… On prendra alors conscience que sans culture, tout discours sur la croissance ne serait que posture, et toute politique de développement ne serait que forfaiture. La raison est que sans lecture ni culture, c’est le triomphe de la rumeur et tout un peuple qui se meurt.

Aziz Boucetta