La torture est toujours pratiquée, Amnesty épingle rudement le Maroc, au mauvais moment (extraits du rapport)

La torture est toujours pratiquée, Amnesty épingle rudement le Maroc, au mauvais moment (extraits du rapport)

Le dernier rapport d’Amnesty International sur le Maroc est clair : la torture existe encore et toujours sur nos terres. L’ONG donne le ton dès le titre de son rapport : La torture, endémique, est utilisée pour arracher des «aveux» et étouffer les voix dissidentes. On peut douter du rapport et d’Amnesty, invoquer le complot et évoquer le timing, les révélations apportées sont préoccupantes, dérangeantes, et affligeantes. Si c’est faux, que le Maroc le prouve… et si c’est vrai, qu’il s’arrange pour que ce ne le soit plus.

Et pourtant, ainsi que le constate Navanathem Pillay, ancien haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme,  « Sa Majesté le Roi Mohammed VI m'a informée qu'il ne peut pas tolérer la torture, bien qu'il ne puisse pas exclure qu'il existe des cas isolés. D'autres responsables ont reconnu que la torture n'était pas une politique de l’État, mais qu’il faudra du temps pour éradiquer « les mauvaises habitudes ». Des mesures, comme l'installation de la vidéosurveillance dans les commissariats de police et la formation des agents, ont été proposées. Le critère décisif de ces engagements est la responsabilité. L'impunité est le combustible le plus puissant pour les violations des droits de l'homme ».

La volonté est donc là, la conscience de l’existence de « cas isolés » est aussi présente, mais que manque-t-il à cette volonté pour sévir contre les reliques et reliquats de tortionnaires, du moins pour que le Maroc ne fasse plus l’objet d’un rapport aussi ravageur ? Car il l’est. Et il porte le nom de  « L’Ombre de l’impunité. La torture au Maroc et au Sahara occidental ».

Qui sont les victimes de torture ?

« La torture touche des personnes aux profils variés. Les victimes dont l'expérience est décrite dans ce rapport sont notamment : des manifestants et des militants qui luttent contre la pauvreté, l'inégalité et l'exploitation des ressources naturelles ; des militants politiques et étudiants appartenant à des formations de gauche ou islamistes ; des partisans de l'autodétermination au Sahara occidental ; des personnes accusées d'infractions liées au terrorisme ; et des suspects dans des affaires de droit commun ».

Comment procède-t-on ?

« Les coups, le maintien dans des positions douloureuses, l’asphyxie, les simulacres de noyade, ainsi que les violences psychologiques ou sexuelles font partie des méthodes de torture employées par les forces marocaines de sécurité afin d’extorquer des « aveux », de réduire des militants au silence et d’étouffer la dissidence »…

« Les actes de torture et les mauvais traitements peuvent intervenir dès le moment de l'arrestation, au grand jour ou derrière les vitres teintées de véhicules des forces de sécurité. Les personnes arrêtées dans le cadre de manifestations dispersées par la force font fréquemment état de violences lors de l'interpellation et dans les moments qui suivent ».

« Deux hommes ont déclaré à Amnesty International que des policiers les avaient violés à l'aide d'objets. La définition du viol telle qu'elle figure actuellement dans le Code pénal ne prend en considération que les viols commis sur des femmes ou des filles, et elle n'est pas suffisamment large. De ce fait, elle ne protège pas ces hommes ».

« Les forces de sécurité ont arrêté des personnes qui semblaient exercer sans violence leur droit à la liberté d'expression, d'association et de réunion. Ces personnes ont ensuite été poursuivies en justice et certaines ont été condamnées à une peine d'emprisonnement sur la base d'accusations vraisemblablement forgées de toutes pièces ».

Le rapport montre en outre que certaines personnes risquent la...

torture dès leur arrestation et tout au long de leur garde à vue. Souvent, trop souvent, les tribunaux ignorent les plaintes et continuent à s’appuyer sur des éléments de preuve obtenus sous la torture pour prononcer des jugements.

Certaines personnes qui osent porter plainte et demander justice sont même poursuivies pour « dénonciation calomnieuse » et « fausse dénonciation d’une infraction ». L’impunité perdure malgré la promesse des autorités de respecter les droits humains.

Qu’en pense vraiment Amnesty ?

Cela étant, selon le communiqué publié par Amnesty, « le rapport se fonde sur 173 cas de torture et autres mauvais traitements infligés à des hommes, des femmes et des mineurs par des policiers et des membres des forces de sécurité entre 2010 et 2014 ». Certes, les choses ont changé depuis, sensiblement, et c’est ce qui fait dire à déclaré Salil Shetty,  secrétaire général d’Amnesty International que « les responsables marocains renvoient l’image d’un pays ouvert, respectueux des droits humains. Mais tant que la menace de la torture planera sur les détenus et les voix dissidentes, cette image ne sera qu’un mirage ».

Et donc, et eu égard au peu d’empressement de l’Etat à poursuivre les coupables d’actes de torture, Amnesty note que le système protège ces tortionnaires, pas les victimes, d’où les accusations de « diffamation » et/ou de « dénonciation calomnieuse » portées contre toute personne qui veut apporter sa vérité, et qui se retrouve jugée par des juges à l’intégrité et à l’indépendance plus que douteuses.

Et maintenant ?

Hormis le fait que cela peut se passer partout, partout on ne se présente pas comme un Etat vertueux, avec force insistance. Le Maroc, qui le fait, gagnerait à sévir plus en profondeur contre les tortionnaires et agents des forces de l’ordre brutaux.

Si le Maroc a gagné une bataille à l’ONU cette année, par les louanges reçus pour sa politique des droits de l’Homme, les juges français et certaines ONG gardent la volonté intacte de montrer que nous serions juste un peu moins brutaux que la Corée du Nord. Cette semaine, le directeur de la police secrète et de la police tout court Abdellatif Hammouchi fait, selon les agences de presse, l’objet d’une saisine de la justice marocaine par son homologue française. La raison ? Actes de torture pratiqués sur Zakaria Moumni, ou ainsi le prétend-il. Or, on ne prête qu’aux riches et le rapport d’Amnesty nous rend fort riches en matière de torture.

L’Etat doit agir, vite et bien : il doit vraiment, et urgemment, faire installer les caméras de surveillance proposées lors des interrogatoires dans les commissariats, faire assister les suspects quand ils sont aux mains de la police par leurs avocats, mettre en place le Mécanisme de prévention proposé et défendu par le CNDH de Driss Yazami…

Dans l’intervalle, le monde et ses agences de presse à l’affût suivront le sort réservé à l’affaire Hammouchi vs Moumni par la justice marocaine, aujourd’hui interpellée, dans une ambiance de suspicion de pratique de la torture. Hammouchi n’est certainement pas l’arracheur d’ongles qu’on veut faire de lui, mais il porte la responsabilité de plusieurs milliers d’hommes et de femmes, et depuis vendredi de plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires. Beaucoup sont indélicats, au mieux, brutaux au pire. Le directeur de la DST et de la DGSN jouera serré, mais dispose entre ses mains de tous les atouts pour réussir à convaincre.

Le Maroc pourra sortir grandi de cette affaire, mais il faudra qu’il le veuille. Vraiment.

AAB