Les petites phrases soigneusement pesées d’Abdelilah Benkirane

Les petites phrases soigneusement pesées d’Abdelilah Benkirane

Durant le weekend ou à la Chambre des conseillers, ce lundi 20 février, le chef du gouvernement a continué sur sa lancée depuis 4 mois, distillant des petites phrases et des messages codés à qui veut l’entendre et à qui de droit. Le gouvernement est toujours en salle d’attente et les signes de nervosité commencent à apparaître…

Abdelilah Benkirane a été nommé chef du gouvernement, chargé de former son équipe, depuis maintenant quatre mois et demi. Et rien de nouveau… Les choses se sont compliquées avec l’USFP, le président du RNI Aziz Akhannouch insistant pour inclure cette dernière dans la majorité afin d’avoir un certain confort, et Benkirane refusant mordicus cette option.

Ce weekend, en meeting interne de son parti, le chef du gouvernement a dit deux choses.

1/ « Il n’est pas normal que notre roi aille proposer la prospérité à certains peuples africains, et que nous humilions le peuple marocain. L’humiliation pour le peuple marocain (applaudissements nourris dans la salle), c’est si on ne respecte pas sa véritable volonté ». Des propos contestés qui ont conduit le chef du gouvernement désigné à apporter des clarifications avec, comme pour Donald Trump, les médias en ligne de mire… « Il faut une certaine réserve dans la presse… Il n’est pas normal que tout le monde dise tout ce qui lui passe par la tête. Mon propos est clair : le rayonnement qu’a gagné le Maroc avec les œuvres caritatives de Sa Majesté… Il n’est ni normal ni sérieux que nous, partis, restions au Maroc sans gouvernement depuis 4 ou 5 mois. Ce n’est pas sérieux. Il nous faut arriver à un résultat dans les plus brefs délais… ». Propos décousus témoignant d’un certain embarras.

2/ « J’attends le retour de Sa Majesté pour lui proposer un gouvernement, ou l’informer de mon incapacité à en former un ». Cela sonne comme un ultimatum lancé à Aziz Akhannouch et au patron du MP Mohand Laenser. Et de fait, il faut bien que les choses aient une fin. Soit il y a un gouvernement, soit il n’y en a pas, auquel cas Abdelilah Benkirane devra se démettre de cette mission et laisser au roi le soin de décider de la démarche à suivre.

Le secrétaire adjoint du PJD Slimane Elomrani, cité par le site de son parti, a développé le propos de son chef. Il a expliqué que le délai de la formation du gouvernement est fixé au retour du chef de l’Etat, en ce sens qu’ « il n’est pas possible que Benkirane poursuive sur une voie sans issue, et accepter de continuer de se placer sous la férule de certains acteurs politiques qui veulent imposer un parti au chef du gouvernement désigné ». Lire qu’Akhannouch et Laenser souhaitent forcer la main à Benkirane pour accepter l’USFP dans son futur gouvernement. « Pourquoi est-ce au seul chef du gouvernement d’accepter des concessions ? Pourquoi les autres ne partagent-ils pas son calvaire avec lui ? Et donc, si rien ne se produit au retour du roi, il appartient au chef du gouvernement de l’en notifier, ni plus ni moins »…

A en croire Benkirane et Elomrani, donc, le Maroc aura – ou non –  un gouvernement dans les 15 jours à venir,...

quand le roi Mohammed VI aura achevé sa tournée africaine qui doit le mener après la Zambie où il se trouve actuellement dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest. On parle de la Côte d’Ivoire, de la Guinée Conakry et du Mali, mais rien d’officiel.

Et puis, lundi 20 février, devant le Forum international de la justice sociale, Abdelilah Benkirane a changé son fusil d’épaule pour tirer dans tous les sens. Il a ainsi usé de la métaphore d’un corps humain. Pour Benkirane, en effet, un corps sain, qui dispose de ce à quoi il aspire, de nourriture, de richesses et de choix exprimés, ne devient pas fébrile et ne tremble pas ; à l’inverse, quand ce corps n’a pas tout cela, il réagit en frémissant.

Mais, a-t-il ajouté, « la logique universelle nous apprend que les peuples arrivent généralement à ce quoi ils s’attendent, et nous avons un poète qui dit que si un peuple veut la vie, il lui faut subir le destin ». Puis il développe son idée en expliquant que les élites se réservent ce qui leur faut pour leur bonheur, alors que le reste des populations attend. Mais, continue le chef du gouvernement désigné, « tout le monde veut les réformes, tout le monde recherche des solutions, mais personne ne veut se sacrifier. Tout le monde veut réaliser ce qu’il y a de positif dans les slogans, mais attention, ne touchez à rien de ce qu’ils possèdent, argent, pouvoir, privilèges… ». Et Benkirane de revenir à son antienne : « Il faut savoir renoncer, parfois, à un peu de ce qu’on possède, pour ne pas perdre le fondement de la prospérité, qui est la stabilité ».

Il termine par une anecdote, celle d’un homme riche qui reçoit des jeunes et leur demande pourquoi ils se plaignent. « Vous nous avez tout pris » (en français dans le discours), répondent les jeunes. Et Benkirane d’achever par cette phrase lourde de sens et de signification : « Il est désormais temps de rendre un peu de tout cela ».

Le président de la Chambre des conseillers Hakim Benchammaass répond alors, reprenant le vers du poète : « Si le peuple veut la vie, il faut que les responsables assument et trouvent des solutions ». Ambiance.

On sent donc l’énervement d’un chef du gouvernement arrivé à bout de patience, convaincu d’avoir tout accepté et plus encore, et mortifié de n’avoir pas été payé en retour. Maintenant qu’il a accepté la logique de la reconduction de l’ancienne majorité au lieu de celle de la koutla, pour son gouvernement, et maintenant qu’l a accepté d’intégrer la petite UC, Benkirane ne veut plus aller plus loin, en cédant aussi sur l’USFP.

C’est le message adressé à Akhannouch… « Je n’irai pas plus loin, quitte à tout casser… », tel est le sens de ce message. Il appartient donc au président du RNI de renoncer, à son tour, à l’USFP. Et si, comme il le craint, la majorité formée sans le parti de Driss Lachgar est incertaine et ne permet pas de faire voter les lois face à l’opposition, il sera alors toujours temps d’appeler l’USFP au gouvernement avec un strapontin ou deux. Les « socialistes » ne diront pas non.

Aziz Boucetta

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