De la francophilie à la francofolie… de la francophonie à la francophobie, par Aziz Boucetta

De la francophilie à la francofolie… de la francophonie à la francophobie, par Aziz Boucetta

La France est un grand pays, et elle est également et surtout une grande culture, elle-même adossée à une grande histoire. Plusieurs centaines de millions de personnes parlent français à travers le monde, une bien belle langue au demeurant… la francophonie n’est donc pas une simple vue de l’esprit. Las… cette idée semble s’estomper depuis quelques années, par la négligence, la connivence et l’absence de substance et de consistance. Eléments d’explication.

La France d’avant. Quand vous demandez à des octogénaires ou des nonagénaires ce que fut la présence française au Maroc durant près d’un demi-siècle, ils vous répondront avec un sourire nostalgique que les Français n’étaient certes pas tous des anges, mais dans leur majorité, ils étaient humains, et surtout sincèrement attachés au Maroc et véritablement préoccupés par le bien-être des Marocains, ou autochtones à l’époque.

Et de fait, à l’inverse de nations ayant connu d’autres colonisateurs plus brutaux, les peuples occupés ou « protégés » par la France ont pu s’éduquer et se faire soigner, et, pour ceux qui l’ont voulu, ils ont pu se trouver une voie, une voix et une place dans le monde d’aujourd’hui.

La France de la décolonisation. C’est à cette époque que la France a commencé à changer, à s’écarter des valeurs qu’elle avait elle-même « inventées », ces valeurs de droits, de liberté, d’égalité et de fraternité qui ont fait sa grandeur trois ou quatre siècles durant.  Mais en un demi-siècle, de Picot à Pétain, de Dien Bien Phu à Alger, du CFA à la Françafrique, celle qui aurait pu mériter à une certaine époque le titre de « la mère des nations » a été reléguée au rang vulgaire d’ancienne puissance colonisatrice, lancée dans une âpre recherche de gains perdus et d’intérêts évaporés, poursuivie par toutes ces nations qui aujourd’hui la talonnent ou la dépassent.

C’était encore une période de francophilie, où les anciens peuples colonisés, malgré les vicissitudes de leurs indépendances et les turpitudes de leurs anciens maîtres colons et de leurs nouveaux dirigeants locaux, ont gardé à quelques exceptions près de bonnes relations avec une France volontiers accueillante, toujours ouverte, encore souriante et très prometteuse. Nous sommes alors à la fin des Trente Glorieuses…

La France de la fin du 20ème siècle. Depuis, les problèmes se sont accumulés, les doutes se sont multipliés, et les migrants aussi. Mais contrairement à la Grande Bretagne, qui fut Empire et qui sut reprendre sa taille naturelle et s’en accommoder en accueillant plus et en intégrant mieux ses immigrés, la France, elle, s’est mise à douter d’elle-même, en affichant ses peurs et ses angoisses, dont les migrants furent les victimes désignées et expiatoires. Cela n’empêchait en rien les affaires françafricaines et les collusions plus ou moins avouables avec les chefs et les roitelets, leurs valets et leurs complices, dans des politiques qui bien souvent s’apparentaient à du pillage de ressources. La France était complice des élites francophones, certes francophiles mais âpres au gain. Le credo oscillait alors entre le refus de « recevoir toute la misère du monde » et la difficile adaptation « aux bruits et aux odeurs ».

Et la francophilie devenait alors francofolie, empreinte de xénophobie croissante et de mercantilisme débridé, avant qu’une très hésitante chasse aux « bien mal acquis » ne sonnât la fin des années fastes, mais avec une navrante tonalité de maître, comparse jadis bienveillant, envers ses élèves, déclassés.

Et la francophonie… Cette idée est sans doute la meilleure qu’ait eue la France postcoloniale. Maintenir par la langue, la culture, les arts, par l’esprit, les relations entre la France et les pays de l’Empire éclaté, puis les pays du monde à conquérir. Mais cette politique aussi a été dévoyée par des personnels politiques peu visionnaires, les yeux rivés sur leurs calculettes, bien plus que sur les générations futures. Cette politique a également été pervertie par « les petits arrangements entre Etats »…

Les obstacles ont alors commencé à s’ériger dans les établissements français à l’étranger. D’abord administratifs, avec les fameux tests d’entrée à la « mission », de plus en plus durs, puis de plus en...

plus étranges… ces obstacles sont devenus financiers, avec des frais de scolarité anormalement élevés, et s’élevant sans cesse d’année en année. Tout cela a conduit bien des parents à s’interroger sur le bien-fondé de la francophonie, dans un monde de plus en plus anglophone !

L’idée française consistait à inculquer la langue et la culture pour créer les clients de demain, et non plus des gens pétris de ces belles valeurs qui ont fait la France et que la France retrouverait plus tard. Il fallait réduire en nombre les lycées purement français et les remplacer par des partenaires locaux. Et cela vient encore d’être confirmé par le président Macron (discours francophonie, 20 mars 2018). Ensuite, de plus en plus de grandes écoles françaises ont essaimé à travers le vaste monde, comme au Maroc, diminuant d’autant le nombre d’étudiants étrangers arrivant en France. Ces établissements ont vocation à accueillir des locaux et des jeunes étudiants venus d’Afrique, ce qui a ouvert à toutes sortes d’interprétations plus ou moins exactes, comme la volonté prêtée à la France de ne plus accueillir autant d’étudiants sur son sol… et de procéder au « tri » des profils et cerveaux recherchés, retenant les « bons » et (dé)laissant les autres.

Puis arrive aujourd’hui… Alors que le français recule face à l’anglais, malgré les certitudes insensées des derniers défenseurs de la francophonie, alors que les déceptions s’accumulent chez ceux qui ne peuvent ni ne veulent plus inscrire leurs enfants dans les établissements français, préférant économiser pour de futures études en terres anglosaxonnes, voilà que le gouvernement Philippe lance la « stratégie d’attractivité » qui, si elle n’était pas préoccupante, serait « drolatique ».

Alors que l’effectif des étudiants étrangers en France se contracte d’année en année, pour culminer aujourd’hui à 325.000, le premier ministre français a déclaré que l’objectif est de le porter à 500.000. Pour cela, il a une stratégie : multiplier les droits d’inscription par environ 15 pour les différents cycles d‘études supérieures, une rude sélectivité par l'argent après la sélection par le niveau. Comme mesure d’accompagnement, une politique de bourses d’études présentée comme hardie a été dévoilée, mais ne disant pas toujours que ces bourses passeront de 7.000 à 15.000 par an, au profit des plus prometteurs, qui ne sont pas forcément les plus méritants. Une politique de sélection presque avouée…

L’augmentation des frais se justifie par le fait que des étrangers argentés paient la même chose en université que des Français peu, ou moins, fortunés. La décision est donc tout à fait légitime, juste et même logique, en plus d’être tout simplement souveraine. La France a parfaitement le droit de décider de ce qui lui convient.

Les francophones du monde, dont l’auteur de ces lignes, ont également l’entière liberté de constater que l’argument est peu, voire pas, convaincant, car après la sélection pédagogique, scientifique et administrative des postulants, on bascule vers le tri économique des arrivants, souligné par les délocalisations d’écoles. Et nous retrouvons encore une fois M. Macron, le 20 mars dernier : « La France devra accroître le nombre d’étudiants étrangers sur son territoire et le nombre de ceux qui viennent des pays émergents doublera (…). Etudiants indiens, russes, chinois seront plus nombreux et devront l’être ». L’affaire est dès lors claire : la tendance de la politique française va vers une immigration choisie, ciblée, sélective, résolument plus asiatique qu’africaine…

 … qui instaure une sorte de francophobie sur le continent et dans le royaume, certes regrettable mais bien réelle. Les 35.000 familles qui ont leurs progénitures dans les écoles françaises du Maroc ne goûtent que très peu au comportement des AEFE et OSUI qui actionnent allégrement le levier financier, et les dizaines de milliers de Marocains simplement désireux de se rendre en France n’apprécient guère les restrictions de plus en plus sévères pour l’octroi de visas. Et tout ce monde ne prendra certainement pas avec le rire et le sourire cette nouvelle stratégie dite d’attractivité…

Et c’est là que la francophonie commencera inexorablement à reculer, plus nettement, plus rapidement… au bénéfice de l’anglais. Au grand regret des passionnés de cette culture et des amoureux de cette langue.

 

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