Et finalement, le ministère de la Fonction publique a rendu publics les détails de l’étude qui, dit-on, a conduit vers l’adoption du régime permanent de GMT+1 au Maroc. Cette décision, prise la veille du jour fatidique du changement d’heure, a créé des remous au sein de la société, et principalement au niveau du secteur de l’éducation nationale. Mais l’étude est là, et voici ce qu’elle dit, sans vraiment convaincre…

Ainsi, l’étude avait été confiée, apprend-on, au cabinet Price Waterhouse Coopers qui avait pour double mission d’évaluer le régime de changement d’heure dans un premier temps puis, ensuite, de procéder à l’étude des conséquences d’un nouveau régime. Cette étude doit avoir deux temps, avril 2018 en départ et avril 2019 en seconde étape, ce qui signifie que la réflexion se poursuit, ainsi que l’a révélé le chef du gouvernement. Une décision définitive serait à attendre dans quelques mois… les concepteurs de l’étude ont pris comme partenaires quelques ministères (l’Education, l’Energie, la Santé) et la CGEM, comme représentante des entreprises, elles aussi concernées au premier chef par le changement du régime d’heure.

1/ Histoire. Et comme tout travail qui se respecte, on revient sur l’histoire du pays sur les 100 dernières années, où l’on apprend que de 1913, où GMT avait été décidé, à 1940, le Maroc est passé plusieurs fois du système permanent au système changeant, à l’exception de la décennie 40 où le GMT+1 avait été définitivement adopté. Puis les changements saisonniers avaient repris, jusqu’en 2013, quand le gouvernement Benkirane avait inscrit sur le marbre d’un oukase les changements d’heure en octobre et en mars.

2/ Les domaines d’enquête de l’étude. L’idée est partie des réactions de l’opinion publique face aux nombreux changements d’heure au Maroc, pas moins de 4, le royaume prenant sur lui de changer le régime durant le ramadan, pour rendre les choses plus faciles au croyants… et c’est ainsi que des études ont porté sur certains critères comme la réduction de l’écart de temps avec les partenaires, la maîtrise de la demande en énergie, la protection de l’environnement par la réduction de la consommation de carburants…

Mais il y a également des conséquences négatives comme l’impact sur la santé des gens, les dangers portant sur la circulation automobile, la productivité et la quiétude des citoyens, le rendu des élèves et lycéens…

3/ Le branding international. Des études comparatives ont été menées sur plusieurs pays ayant adopté des régimes particuliers ; ces études ont porté sur les cadres juridiques de ces pays, les campagnes de communication et les méthodes d’évaluation retenues, les impacts sur la santé, sur l’énergie, sur la société, sur l’économie…

Plusieurs nations ont été passées au crible : l’UE, le Canada, la Russie, la Turquie, la Jordanie, la Tunisie, le Japon, le Portugal, le Liban, les Etats-Unis…

4/ La méthodologie. Le sondage par échantillon représentatif a porté, géographiquement, sur l’ensemble des 12 Régions administratives du royaume, et les enquêteurs ont interrogé les acteurs de différents domaines comme la construction, l’immobilier, les services, l’industrie, le transport, le tourisme (hôtels et restaurants), l’agriculture, les NTIC, la pêche, la finance.

Dans le privé, l’enquête s’est orientée vers les entreprises, les agriculteurs (en coopératives, les professionnels de la santé (médecins et paramédicaux).

Pour le choix des personnes, les critères suivants ont été retenus : le lieu de résidence, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle, les chiffres d’affaires réalisés pour certaines catégories d’entreprises et les formes juridiques de ces entreprises.

5/ Les résultats de l’étude à l’étranger.

En Afrique, un seul pays, le Maroc, procède encore régulièrement au changement d’heure. En Europe, ils sont 49 à le faire (encore), en Asie, 7 et en Amérique latine et du nord (curieux classement…), 8… Mais les résultats ne donnent rien de probant puisque les auteurs de l’étude admettent que les conclusions sont très différentes d’un pays à l’autre, comme pour l’économie d’énergie, qui va de 0,03 à 2,5%.

Il est cependant acquis que les changements d’heure induisent tout un ensemble de désordres au sein de plusieurs catégories sociales, élèves, lycéens, et ouvriers/employés. De plus, pour GMT+1, le sentiment de sécurité est accru du fait des journées plus longues et de la tombée retardée de la nuit. Enfin, il existe des risques certains d’infarctus et d’accidents de circulation aux périodes de changements d’heure. Mais comparativement à d’autres pays, le Maroc ne réalise que 0,17% d’économie d’énergie, contre 1% en Norvège, 1,3% en Suède, 0,70% en Turquie et 0,73% en Jordanie. La France, elle, ne réalise que 0,11% d’économie d’énergie.

Dans l’UE, un sondage a été réalisé sur internet, et 84% des 4,6 millions de participants étaient pour l’annulation des changements d’heure. Ce sera chose faite au plus tard en octobre 2019, mais les pays de l’UE devront choisir entre le système d’heure d’hiver, ou d’heure d’été, mais de façon permanente. Cela signifie qu’en octobre 2019, il n’y aura plus de changements dans l’UE.

6/ les résultats...

de l’étude au Maroc. Tous les médecins interrogés ont admis des désordres dus à ces quatre changements par an, des perturbations au niveau de l’horloge biologique des gens et des risques d’accidents de santé. Et de fait, les Marocains interrogés rejettent le système de changements pour des questions de santé, et leurs conclusions sont reconnues au niveau mondial par les médecins et les professionnels de la santé, qui pointent deux désordres essentiellement, le manque de sommeil et les risques d’infarctus.

77% des sondés reconnaissent des perturbations durant les premiers jours après le changement.

70% des sondés affirment perdre une à deux heures de sommeil, surtout la première semaine du changement.

25% voient des avantages aux changements pour leurs activités culturelles et leurs divertissements.

54% constatent que leur concentration baisse les premiers jours.

50% des sondés et 64% des entreprises font état de retards de rendez-vous et de non-respect des horaires durant les premiers jours après les changements.

57% des entreprises pointent des baisses de productivité de leurs employés.

80% des parents d’élèves remarquent que leurs enfants perdent en attention et en concentration, en plus des retards d’arrivée dans leurs écoles et lycées.

56% des sondés affirment que puisque le GMT+1 retarde d’autant le lever du soleil, ils se sentent moins en sécurité les matins, essentiellement d’octobre à mars.

Les statistiques de la circulation automobile ont enregistré une augmentation de 10% des accidents de la route durant les premiers jours des changements d’heures (20% de plus au Canada), contre 0,56% en temps normal de 2009 à 2016.

21% des entreprises interrogées relèvent une augmentation de leurs ventes au passage de l’heure d’été, mais les gens du rural refusent cette heure qui bouleverse leurs équilibres, ceux de leurs plantations et, dans une moindre mesure, celle de leurs cheptels.

Il n’existe pas de grands changements dans les relations d’affaires des entreprises, 87% considérant que leurs affaires ne pâtissent pas des changements d’heure.

7/ Les trois scénarios possibles. Cela consiste en le choix entre l’une des 3 options suivantes : GMT, GMT+1 ou le maintien du changement saisonnier. Or, 68% des sondés et 63% des entreprises s’opposent aux changements périodiques, ne laissant donc comme options que le GMT ou le GMT+1.

Il s’avère alors que le GMT+1 réduira l’écart de temps avec la plupart des pays d’Asie, d’Afrique et d’Europe, en plus des Amériques. A l’inverse, le GMT accentuera les écarts avec l’Europe, l’Asie et l’Afrique, réduisant néanmoins les écarts avec les Amériques.

Choix du GMT

Avantages : maintient l’équilibre agricole qui fonctionne avec les mouvements du soleil.

Inconvénients : Réduit le sentiment de sécurité à la fin de la journée (il fait nuit plus tôt), réduit l’avantage en consommation d’énergie, portant cette consommation à 84 MGW, ce qui nécessitera, pour satisfaire à la demande en hausse, un investissement de 220 millions de DH/an, augmente la consommation énergétique et donc l’émanation de CO₂ avec une moyenne de 50 millions de tonnes/an. Enfin, il sera possible de garantir l’approvisionnement énergétique durant les périodes de forte consommation d’électricité.

Choix du GMT+1 

Avantages : Procure une heure supplémentaire de jour, favorisant ainsi les activités culturelles ou de divertissement, permet une meilleure économie d’énergie et une réduction des émanations de CO₂, dope la consommation des ménages et des entreprises, favorise des activités telles que les services et l’offshoring.

Inconvénients : défavorise les élèves et les conduit à l’école le matin alors qu’il fait encore nuit, d’où un sentiment d’insécurité, et nécessite des investissements en matière d’éclairage public, de sécurité et de transport.

 

Remarques et conclusion.

Cette étude, qui semble avoir été réalisée à la va-vite, vu que l’on n’en a jamais entendu parler pendant sa réalisation et qu’elle a nécessité tout ce temps entre la décision de garder l’heure d’été et la publication du sondage, n’est pas très convaincante. On a le sentiment que les arguments avancés ont été pensés et conçus pour conduire à une option parmi d’autres, celle du GMT+1. On ne connaît pas non plus les échantillons des gens interrogés, ni leur effectif sectoriel, géographique et global

En outre, l’étude n’est pas achevée puisque sa seconde phase ne sera achevée qu’en avril 2019, ce qui laisse la porte ouverte à toutes les possibilités de retour sur la décision du gouvernement.

Enfin, la décision a été complètement et totalement bâclée du fait qu’aucune explication n’a été donnée, qu’aucune communication n’a été faite pour expliquer le maintien du GMT+1 aux Marocains. La preuve en est l’incroyable cafouillage et confusion régnant au sein de l’équipe gouvernementale, et essentiellement au niveau de l’éducation nationale, avec les élèves dans les rues, les professeurs qui maugréent et les parents d’élèves qui fulminent. Plusieurs décisions ont été prises pour éteindre les feux, mais en vain… chaque décision ajoute à la confusion.

Cette affaire du GMT+1 montre finalement l’incapacité du gouvernement à prendre des décisions, ce qui remet en cause le processus de prises de décisions au sommet de l’Etat, et achève de convaincre en l’indigence communicationnelle du gouvernement Elotmani.

Aziz Boucetta