Le Maroc doute mais la Chambre des conseillers s'amuse...

Le Maroc doute mais la Chambre des conseillers s'amuse...

Dix jours après l’ouverture de la session d’automne du parlement et dix jours surtout après que le roi eut exhorté les élus à agir en bons pères de famille, voire même à produire des hommes d’Etat, la Chambre des conseillers va élire ses instances en ce début de semaine. On verra bien comment ses 120 élus s’inscriront dans la logique voulue, surtout que les choses n’ont pas vraiment bien commencé avec la réélection du président Benchamas.

Dès le commencement, donc, les choses ont très mal tourné, du moins selon la pratique universelle de la démocratie numérique. En effet, voilà un président de chambre, chef du PAM, dont le parti totalise 23 conseillers seulement, qui évolue au sein de l’opposition… mais comme nous sommes en terres marocaines, il réussit à prendre le meilleur sur son adversaire, venant du parti conduisant la majorité. Les partis de la majorité n’ont donc pas voté pour le candidat de leur chef, et ils se sont tous transportés (de joie ?) vers celui de son principal adversaire… numériquement du moins, le PAM.

Hakim Benchamas du PAM a donc été réélu contre Nabil Chikhi du PJD, avec les voix du RNI, du MP, de l’UC et de l’USFP. Pour la suite des événements, M. Benchamas n’oubliera sans doute pas ceux qui l’ont maintenu roi. Fin de l’acte 1.

Dans l’acte 2, il faudra élire les membres du Bureau, les chefs de groupe et les présidents de commission. Si la chefferie du groupe reste une affaire interne à chaque parti, celle des commissions et l’entrée au Bureau font l’objet de calculs aussi savants que souvent décevants. Mais bon, à la décharge de nos élus, il y a les avantages et les voyages, les berlines et l’adrénaline. Plus quelque argent honnêtement gagné à siéger, même sans s’engager.

Et ainsi donc, selon les confrères, on entend que des guerres et guérillas éclatent ici et là, entre groupes et intra groupes. Ainsi l’UMT qui tangue entre ses engagements initiaux de rotation dans les postes et la volonté de son secrétaire général de n’en rien faire. Ainsi aussi au sein du MP, de l’USFP et d’autres groupes où ceux qui furent vice-présidents ne semblent pas vouloir céder leurs places à d’autres pour qu’ils en goûtent eux aussi les délices.

Car, il faut le savoir, et l’info vient de plusieurs conseillers qui veulent bien évidemment rester anonymes en raison de la sensibilité de la chose : il n’y a jamais de discussion sur ce qu’il faudra faire au sein du Bureau, mais sur ce qu’il faudra ne surtout pas faire, en l’occurrence faire l’élu et agir en conséquence. Un membre du Bureau, en quelque sorte, ça ferme sa gueule ou ça s’en va, pourrait-on dire… Cela peut expliquer des départs…

Mais le cas le plus intéressant est celui du PAM, encore le PAM, toujours le PAM. En 2015, il avait « offert » sa place à la CGEM en échange du vote des 8 patrons membres du groupe en faveur du candidat du PAM à la présidence, M. Benchamas. En ces temps lointains, ce dernier avait cruellement besoin de chaque voix puisqu’il avait finalement été élu à une voix d’écart face au candidat malheureux (et qui l’est toujours), l’Istiqlalien Abdessamad Qayouh. Cette...

année de grâce 2018, ayant été confortablement élu, Hakim Benchamas fera-t-il ce même cadeau à la CGEM ou non, sachant que, d’un tempérament très loyal, il ne pourra que l’être à l’égard du parti qui lui a permis de prolonger sa douce sinécure ? Réponse incessamment…

Aujourd’hui, Hakim Benchamas a pris du galon. En plus d’être président de la deuxième Chambre, il a été élu aussi chef du PAM, voici quelque mois. Il est devenu encore plus important, même si l’un des dirigeants de son parti doute très sérieusement de son poids réel au sein même du PAM. Ambiance…

Pendant ce temps-là, la CGEM s’étripe, règle les comptes et plonge dans la logique politicienne la plus classique et dans la pratique partisane la plus basique. Se battre pour une fonction, revenir sur les engagements et ne jamais, sous aucun prétexte, présenter un programme d’action et de travail. Il faut dire que le nouveau président Salaheddine Mezouar a tellement fait de promesses pour son élection et que ces trois dernières années ont tellement fait d’ambitions brisées, qu’on peut s’attendre à tout de la part de patrons pétris d’orgueil qui se voient désormais en politiques gonflés de vanité.

L’Istiqlal, lui, arrive en rangs serrés, aussi serrés que le sont les barreaux de la cellule de prison à laquelle est condamné, pour 5 ans, l’un de leurs leaders, suite à quelques affaires de corruption, de concussion et autres délits semblables. Mais Dame Nature (et surtout Dame Justice) n’ont pas encore décidé de l’enfermer, considérant sans doute que ses fonctions à la commission de la Justice sont plus importantes que le laisser se morfondre dans un 9 m² humide.

Le PJD, lui, est discipliné. Et profondément démocrate et démocratique. Il a tenu à présenter un candidat pour faire honneur à la démocratie et « éviter le scénario du candidat unique à la présidence »… C’est beau comme de l’eau, sauf qu’en janvier 2017, il n’avait pas présenté de candidat contre Habib el Malki pour la présidence de la Chambre des représentants, évitant alors d’éviter le scénario du candidat unique… Mais le PJD a ses calculs, comme tous, même s’il persiste à se prétendre différent de tous.

Les autres partis, moins flamboyants à la Chambre, sont plus discrets mais tout aussi déchirés entre les attentes frustrées des uns et les visées intéressées des autres, dans un environnement de férocité, de rapacité, de ténacité, de tous.

Mais…

1/ La situation politique et sociale de ce pays est un peu cabossée en ce moment, et l’opinion publique, désespérée, attend des signaux de sa classe dirigeante pour espérer encore avoir, un jour, quelque espoir ;

2/ Le roi a dit, voici dix jours, à ces mêmes parlementaires : « Le Maroc a aussi besoin d’hommes d’Etat sincères et engagés à assumer avec abnégation les responsabilités qui leur incombent (…). Soyez, que Dieu vous garde, à la hauteur des enjeux actuels, en manifestant un patriotisme sincère ». Tu parles, si j'ose dire...

M. Benchamas et ses 119 pairs sont trop pris par le jeu des fonctions pour réfléchir aux enjeux de leur nation. Leur vaillance pour quérir les premières n’a d’égale que leur défaillance à servir la seconde. Malgré les attentes de la population, en dépit des exhortations du chef de l'Etat.

Aziz Boucetta

 

Commentaires