La RAM prend de la gîte, les pilotes s'agitent et Sajid reste sur son nuage

La RAM prend de la gîte, les pilotes s'agitent et Sajid reste sur son nuage

Depuis quelques années la Royal Air Maroc entre et sort des zones de turbulences toujours indemne. Pourtant, elle fait partie des compagnies africaines voire de la zone MENA les plus performantes. Mais la RAM comme toute entreprise a son talon d’Achille, qui peut lui causer – et lui cause de fait –  de  très fâcheuses conséquences : la grève.

2017, année faste pour la RAM, c’était la joie, la gaité, on jubilait…  C’était la fête en quelque sorte, car en marge du Salon International de l'Aéronautique et de l'Espace (SIAE) de Paris-Le Bourget, Skytrax - organisme basé à Londres et réputé pour ses enquêtes sérieuses, scientifiques et objectives sur des classements sanctionnant la qualité des services et des prestations au sein des compagnies aériennes- décerne la compagnie Royal Air Maroc le prix de la meilleure compagnie aérienne africaine pour l'année 2017. La direction de la RAM elle-même n’avait aucunement envie de faire la fine bouche, « ce prestigieux prix décerné pour la quatrième fois consécutive à Royal Air Maroc consacre son statut de compagnie leader du continent africain », avait déclarait le directeur du pôle Clients de la RAM, Othmane Bekkari.

Néanmoins, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude

2018, la RAM tangue (encore) dangereusement en plein vol. Déjà en 2009, la compagnie nationale avait été fortement secouée par une crise interne qui avait des conséquences désastreuses qui avaient même conduit à un plan de restructuration douloureux, dont les seules victimes étaient les petits salariés de la compagnie, sans oublier les pertes financières colossales qui l’ont accompagnées. Et ledit plan avait conduit en 2011 à ce plan de restructuration entre la RAM et l'État par le biais d’un contrat-programme 2011-2014 afin de sauver la compagnie nationale qui traversait une crise sans précédent, menaçant même sa continuité d'exploitation.

Et à l’achèvement de ce plan, le rapport 2015 de la Direction des entreprises publiques révélait que la «RAM a globalement respecté les engagement contractuels et a même amélioré ses résultats plus rapidement que prévu».

Les termes de l’accord avaient engagé la RAM à assurer une rentabilité et son succès quant à atteindre un équilibre financier, après des déficits cumulés évalués en milliards de dirhams. Contrat accompli car la RAM a pu redresser la situation grâce à une économie annuelle globale, à travers notamment la rationalisation des effectifs et des charges de fonctionnement et la restructuration du réseau et de la flotte. Une opération réussie puisque l'impact sur le résultat d'exploitation est passé d'un déficit de 499 MDH en 2011 à un résultat d'exploitation positif de 522 MDH, soit une augmentation de 204%. L'amélioration du résultat net est encore plus révélatrice, passant d'un déficit de 1.736 MDH en 2011 à un bénéfice de 203 MDH en 2015 et de 520 MDH en 2016.

Au moment où la RAM commençait à se stabiliser après les secousses de 2009, une partie du personnel de la compagnie engage un bras de fer avec la direction pour une augmentation de salaire et ironiquement la majorité de ces revendicateurs sont parmi les mieux payé de la RAM. Donc le contrat engagé avec l’Etat est remis en question et souvent on dit que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.

Orchestrée par l’Association Marocaine des Pilotes de Ligne (AMPL), la revendication avait pour motif une augmentation nette de 30.000 DH par mois pour le personnel navigant technique (PNT) en plus des primes afférentes ! En ces temps les pilotes de ligne marocains touchaient en moyenne un salaire mensuel net d'impôts de 140.000 DH pour les commandants de bord, et 100.000 DH net pour les copilotes. À titre de comparaison, le journal Les Inspirations ÉCO révèle que les commandants de bord d'Air France touchent un salaire moyen de 180.000 DH (16.158 €) et les copilotes 125.000 DH (11.340 €), dans un pays où le Smig est de 14.300 DH (1.300 €), soit respectivement 12 et 9 fois le Smig français. Au Maroc, les commandants et copilotes touchent déjà respectivement 47 fois et 33 fois le Smig marocain ! 

« Bienvenue à bord de la Royal Air Maroc »

Créée le 28 juin 1957, la Royal Air Maroc est née de la fusion entre Compagnie Chérifienne de Transport Aérien (CCTA) ou Air Atlas et de la compagnie Air Maroc.

61 ans après sa création, la RAM présente un chiffre d'affaires brut total de l'exercice 2015/2016  -années faste de la compagnie - qui s'est établi à 14,422 MMDH, en amélioration de 7,3% par rapport à l'exercice précédent. Le CA de l’activité passagers hors taxes et net de commissions s’est élevé à 11,914 MMDH soit une progression annuelle de 5%, a révélé Médias 24.

Le CA brut de l’activité fret a atteint 481 MDH soit une croissance de 10% en un an. Ce segment contribue à hauteur de 3,6% au chiffre d’affaires brut de la RAM pour l’exercice 2015. Le résultat net de la RAM s’est quant à lui élevé à 231 MDH, ce qui correspond à une hausse de 13.8%

Le site économique Médias 24, ajoute que le nombre de passagers transportés a avoisiné 6,7 millions, ce qui représente une hausse de 10% par rapport à l'exercice précédent.

Le groupe Royal Air Maroc dispose d’un effectif global de 3220 personnes à fin octobre 2016, réparti de la manière suivante :

-          Effectif global : 3220,

-          Personnel navigant technique : 389,

-          Personnel navigant commercial : 1063,

-          Personnel au sol : 1768

Exit Driss Benhima qui s’apprêtait à souffler sa 10e bougie aux commandes du transporteur national, Abdelhamid Addou est présenté aux membres du conseil d’administration le 8 février 2016 pour prendre les commandes de la Royal Air Maroc deux jour après par décret royal. Ainsi avec la crise qui couve au sein de la compagnie Abdelhamid Addou connaît son premier bras de fer avec le redoutable syndicat des pilotes de ligne (AMPL).

Le dilatoire n’a pas eu d’effet

En fin 2017, les signes avant-coureurs avaient apparu au sein de la compagnie. Une source préférant garder l’anonymat avait révélé à Médias 24 que malgré les bons résultats de 2017, la compagnie devait faire face à deux équations : l’une, c’est les coûts du carburant qui s’accroissent et l’autre, les revendications salariales des pilotes qu’elle avait qualifiées de « déraisonnables ». La source affirmait même que ces revendications des pilotes « menacent l’équilibre financier » de la compagnie voire « son avenir tout court ». Toutefois, la direction de la RAM avait même entré en discussion avec les syndicats et avait accepté l’idée d’une augmentation des salaires du personnel navigant mais se garder d’avancer sur les modalités de l’application « car elles mettraient en péril l’avenir de la RAM », conclut la source Médias 24.

Le plan stratégique quinquennal de 2017 devenu caduc

En janvier 2017, la direction a soumis au Chef du gouvernement, un contrat-programme contenant plusieurs axes liés au développement de la compagnie notamment (doublement de la flotte, ouverture de lignes long-courrier, privatisation d’une partie du capital …). Validé par le gouvernement, ce plan devait permettre à la compagnie de se préparer à une forte concurrence surtout les low-cost et l’amélioration de la qualité de service. D’autres points figuraient également dans le document stratégique quinquennal dont l’achat d’avion, augmentation du budget de fonctionnement et ouverture du capital à des partenaires étrangers.

Aujourd’hui la mise en œuvre du plan de développement est totalement hypothéquée par les mouvements d’humeurs initiés par AMPL qui demande avant tout une augmentation de salaire.

18 juillet 2018, AMPL décide d’aller à vau l’eau et en kamikaze

 A peine sorti des troubles de 2009 avec une reprise spectaculaire en 2015 et 2016, l'Association marocaine des pilotes de ligne (AMPL) revient à la charge. Des centaines de pilotes de la compagnie aérienne ont déclenché depuis le 18 juillet 2018 une grève, exigeant une augmentation de salaire.

L'AMPL le syndicat initiateur de la grève accuse la compagnie aérienne d’voir fermé le centre de formation des pilotes de RAM en 2014 et d'envoyer les étudiants à l'ENAC à Toulouse, en France, pour suivre une formation. L'AMPL dit aussi que la compagnie aérienne a fermé l'école de formation et a commencé à embaucher des pilotes étrangers au lieu de donner des...

emplois aux Marocains.

Selon AMPL, en 2018, la compagnie aérienne a embauché 540 pilotes et copilotes, mais pourrait répondre à la demande. La compagnie aérienne a besoin d'au moins 100 autres pilotes et a offert 87 postes à des étrangers, mais seulement 26 ont accepté l'offre.

Que veulent les grévistes ?

Selon Abdelhamid Addou, c’est à la suite de l’AG de l’AMPL, tenue le 16 juillet dernier, qu’a été décidé le mouvement de grève, à laquelle AG était sortie les propositions relatives aux salaires et celles afférentes aux conditions de travail.

Sans être totalement clair sur les détails à propos de la revalorisation des salaires, les salaires actuels moyens des grévistes tournent autour 150 000 dirhams à 200 000 dirhams, (selon l’ancienneté et la qualification), soit 58 fois et 78 fois le SMIG marocain. Mais ils se doutant que leur mouvement n’a pas emballé les populations, ils ont préféré ne pas entrer dans les détails et veulent le régler à huis clos.

Et c’est sans doute pour cela que l’Association Marocaine des Pilotes de Ligne, AMPL a compris et observe un silence prudent.

Et si l’AMPL se veut discrète sur les détails de ses revendications, se gardant bien d’en communiquer à la presse, le journal l’Economiste révèle que « des indiscrétions énoncent que les commandants de bord souhaitent une « revalorisation salariale » de 50 000 dirhams nets mensuels et leurs compagnons, les pilotes de ligne, se satisferaient quant à eux de 30 000 dirhams nets… »

L’Economiste estime par ailleurs que ce montant plomberait de 200 millions de dirhams annuellement les caisses de la compagnie nationale, laquelle, quoique bénéficiaire au dernier exercice, ne serait pas dans la capacité de faire face à de telles nouvelles charges salariales récurrentes.

C’est d’ailleurs un cri d’alarme que le PDG de RAM dans sa lettre ouverte a lancé craignait pour l’avenir de la compagnie nationale, soulignant au passage son incapacité à envisager, du fait de cette grève qui ne dit pas son nom, l’acquisition de nouveaux appareils pourtant indispensables pour le développement du trafic battant pavillon national.

D’énormes pertes, la RAM n’a pas fini de compter

Les tensions entre Abdelhamid Addou (ci-contre), patron de la RAM et ses pilotes vont crescendo depuis le début malgré des mois de négociations bilatérales sans accord.

La plupart des vols annulés portent entre le Maroc et des pays européens, notamment la France, l’Espagne et l’Italie. Ces pays sont d'une importance cruciale pour la RAM, car ils sont les principales sources de touristes étrangers pour le royaume et un grand nombre de Marocains vivent à l'étranger.

A ce jour une centaine de vols ont été annulés occasionnant une perte quotidienne de près de 20 MDH. On fera le total à la fin !

La guerre des communications

L'association de pilotes a déclaré dans un communiqué qu'un « climat social lourd » prévaut sur la société, et cette situation était « exacerbée par 20 mois de dialogue social stérile ».

 De son côté dans une lettre adressée à l'association des pilotes, le directeur de RAM, Abdelhamid Addou, a critiqué ce qu'il appelle « l'absence de volonté de voir le développement de l'entreprise », affirmant que l'organisation d'une grève aurait des effets dévastateurs sur l'entreprise.

Le ministre du Tourisme et du Transport aérien, Mohamed Sajid, est même intervenu pour tenter de ramener les deux parties à la table des négociations sans succès comme quoi la tension est devenue très vive entre la direction de la compagnie et le syndicat des pilotes.

Le parlement déjà en vacances ne s’est pas saisi totalement de la question, néanmoins un député du PAM avait interpellé le ministre du tourisme de l’impact de cette grève et les garanties pour le bon déroulement du pèlerinage à la Mecque. Cependant, les pèlerins empruntant la RAM voyagent sans problème jusqu’ici, ils sont épargnés des annulations ou retards de vols, avait répondu le ministre, qui, depuis lors ne s’est plus prononcé officiellement sur la question. Et le gouvernement dans tout ça ? pour l’instant rien a filtré de la position officielle du gouvernement sur cette crise qui devient de plus en plus dangereuse pour la compagnie nationale.

La FNTA-UMT entre en scène et appelle au dialogue

La Fédération nationale du transport aérien (FNTA), affiliée à l’Union marocaine du travail (UMT), entre dans la danse et veut trouver une issue à la situation très délétère qui règne au sein de la RAM. La FNTA, déclare que le climat social à la RAM est « de plus en plus perturbé par des tiraillements dû à un durcissement des positions des uns et des autres » et invite à trouver des « compromis » pour éviter la RAM et son personnel de se retrouver « dans une situation qui pourrait rappeler celle de l’année 2009 ».

La FNTA-UMT rappelle les conséquences « désastreuses » de 2009 « qui ont conduit à un plan de restructuration douloureux, dont les seules victimes étaient les petits salariés de la compagnie, sans oublier les pertes financières colossales qui l’ont accompagné », ajoutant que cette situation avait plongé la RAM « dans une spirale interminable » ayant permis aux concurrents « de se positionner sur l’échiquier de l’industrie aérienne ».

La RAM bat de l’aile et va vers un atterrissage

La direction de la Royal Air Maroc et l’AMPL engagent aujourd’hui un combat périlleux dont les conséquences déjà très importantes seront difficilement voire impossibles de mesurer avec exactitude. Pour la FNTA-UMT qui veut jouer les bons offices a bien compris l’impact de cette grève qui oppose le personnel navigant technique à la direction de la RAM, qu’il considère comme un « conflit dont les conséquences s’avèrent préjudiciables à la compagnie, aussi bien sur le plan financier qu’en termes d’image de marque en procédant à sa médiatisation ». S’alarmant de cette situation, le syndicat soutient que l’application de la loi, le dialogue, la négociation ainsi que le respect des engagements « sont les seuls moyens susceptibles de contribuer au dénouement équitable et définitif de cette crise ».

Il souligne en outre que la place respectable qu’occupe actuellement la RAM dans l’industrie du transport aérien était du travail et du savoir-faire de tout son personnel, toutes catégories confondues. La FNTA appelle tous les protagonistes à entamer « un dialogue constructif loin de toute démagogie ou agenda caché, afin de trouver une issue à cette situation ».

Dès les premières heures de grève, Abdelhamid Addou, PDG de la RAM déplorait dans une lettre relayée par l’Économiste « l’absence de volonté d’aboutir à un compromis » et dénonçait une « surenchère des revendications », faisant référence aux résultats de l’Assemblée générale de l’Association marocaine des pilotes de lignes (AMPL).

Conclusion

Quoi qu’il en soit, les grévistes ont engagé un bras de fer dont personne ne sortira vainqueur, ni les grévistes, ni la direction encore moins les usagers.

Oui au droit d’aller en grève, oui au droit de revendiquer, oui au droit de demander l’impossible, mais si on regarde de très près, tout le monde sera convenu de la fragilité de la RAM qui fait face à une concurrence féroce notamment les low-cost.

On ne peut pas empêcher à quelqu’un de faire sienne la citation de Victor Hugo qui, dans les Misérables, s’adressant à Gavroche (ce gamin des rues parisiennes, qui tempête, qui rigole, qui résiste…), lui faisait dire :  « Tenter, braver, persister, persévérer, être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu'elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ; voilà l'exemple dont les peuples ont besoin, et la lumière qui les électrise. », mais il serait suicidaire de reprendre dans ce cas d’espèce le conseil de Hugo servi à Gavroche. Au demeurant c’est exactement cette démarche que tente faire l’AMPL qui risque de se bruler les ailes en voulant « étonner la catastrophe ».

Aujourd’hui, personne ne peut prédire quand et comment tournera la situation. L’AMPL qui commence à être un habitué des faits sans déclarer ouvertement ses intentions semble tenir au collet la direction de la RAM, néanmoins, on laisse toujours faire. Jusqu’à quand ?

Quoi qu’il en soit, la RAM tangue en pleine vol, pour des raisons étroitement scabreuses, qui mettent en péril l’avenir de la compagnie et tous ceux qui y travaillent !

Cependant, les grévistes XXL, « aux grandes responsabilités » réclament chaque mois l’équivalent d’un logement économique !!! L’histoire jugera…

Mouhamet Ndiongue

 

 

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