Arbitrage : la vidéo longtemps contestée montre déjà ses limites   

Arbitrage : la vidéo longtemps contestée montre déjà ses limites  

 

Autorisation, Le 6 mars 2016, par l'IFAB, l'utilisation expérimentale de l'assistance vidéo, le « VAR » en anglais video assistant referee, (arbitre assistant vidéo ) est utilisée pour la première fois dans une compétition officielle organisée par la FIFA le 14 décembre 2016, lors de la demi-finale de la Coupe du monde des clubs de la FIFA opposant l'Atlético Nacional aux Kashima Antlers.

 Pour la première fois lors d’une grande compétition, l’assistance vidéo ne supprime pas le biais de l’interprétation humaine de l’arbitrage. Elle le répartit entre le terrain et une salle située dans la capitale russe.

Le Brésil ne décolère pas. Supporters, joueurs et dirigeants estiment que la Seleção a été lésée par l’arbitrage, dimanche, contre la Suisse (1-1). Sur l’égalisation de Steven Zuber, qui aurait selon eux commis une faute avant de marquer de la tête, et sur une intervention de Manuel Akanji, qui aurait selon eux dû être sanctionnée d’un penalty. La fédération nationale a par courrier demandé des explications à la FIFA. Elle veut savoir pourquoi l’arbitre s’est privé du recours à la vidéo.

Sur le terrain, après le but helvétique, les Brésiliens ont tout essayé pour convaincre César Ramos. La méthode traditionnelle (les cris et les gesticulations), la méthode créative (rejouer la scène telle qu’ils l’ont perçue). Rien n’y a fait. L’arbitre mexicain s’est refusé à dessiner dans l’air un petit rectangle symbolisant son intention de faire parler les images.

C’est la première vraie polémique liée à l’utilisation de l’assistance vidéo à l’arbitrage, appliquée pour la première fois lors d’une Coupe du monde, mais les situations litigieuses sont déjà multiples. Après cinq jours de compétition et l’entrée en lice de toutes les équipes, le principal écueil du système apparaît déjà clairement: il ne supprime pas le biais de l’interprétation humaine. Il le diffuse (entre le terrain et le centre d’analyse situé dans la capitale russe), il le répartit (entre davantage d’arbitres précisément hiérarchisés), mais il l’entretient. L’œil de Moscou dicte une justice sélective.

Comme lors du but de Steven Zuber, ne pas aller voir les images est déjà un choix (humain) fort. Elles montrent que l’ailier suisse a bel et bien poussé Miranda dans le dos avant de s’élever et de marquer de la tête. Faute ou pas? Selon l’ancien arbitre espagnol Andújar Olivier, cité par Marca, l’irrégularité est claire. Opinion partagée par le sélectionneur auriverde Tite, mais pas par Xherdan Shaqiri, qui a parlé en zone mixte d’une situation classique dans la surface sur un corner.

Le procédé ne peut être utilisé que dans quatre situations: après un but marqué, sur une situation de penalty, pour un carton rouge direct ou en cas d’erreur sur l’identité d’un joueur averti ou exclu

Dans son oreillette, une voix a sans doute dit à César Ramos qu'il pouvait aller de l'avant, qu'il avait vu juste. Mais que se serait-il passé s'il était allé contrôler les images lui-même? Aurait-il annulé le but? Personne ne le sait, et tout le monde doit se contenter de cette vérité: l’égalisation a été validée. Les Suisses considèrent que c’est normal, les Brésiliens que c’est un scandale. Exactement comme avant.

Comme pour chaque match, ils étaient quatre VAR (pour «video assistant referee»), parqués dans une salle à Moscou. Trois Italiens et un Argentin, en l’occurrence, à mille kilomètres de la Rostov Arena, à pouvoir prêter main-forte au directeur de jeu au moyen d’images analysées à froid et au ralenti. Le procédé ne peut être utilisé que dans quatre situations: après un but marqué, sur une situation de penalty, pour un carton rouge direct ou en cas d’erreur sur l’identité d’un joueur averti ou exclu. Il doit permettre «d’éviter les erreurs majeures et manifestes, pas de réarbitrer avec la technologie», expliquait en début de tournoi Pierluigi Collina, président de la Commission des arbitres de la FIFA. Jusqu’ici, il a surtout nourri le débat.

En Russie, le premier recours officiel à l’assistance vidéo remonte au match France-Australie de samedi dernier. A la limite de la surface de réparation, Antoine Griezmann est taclé par Joshua Risdon et s’écroule. L’arbitre ne réagit pas mais, 30 secondes plus tard, alerté...

par ses VAR, il interrompt le jeu, visionne les images et siffle penalty. Le Temps a vu l’action en direct dans un centre de presse bondé de journalistes internationaux. Pour la moitié d’entre eux, le système avait corrigé une erreur flagrante d’arbitrage. Pour les autres, la décision initiale de laisser le jeu se poursuivre était la bonne. «Si on siffle sur cette action, on va passer le Mondial à le faire? Pour moi, il n’y a jamais penalty», s’énervait l’ancien Bleu Jean-Pierre Papin sur le plateau de BeIN Sport.

La Coupe du monde sabordée

Le recours à l’assistance vidéo a aussi conduit à quelques décisions inattaquables, comme le penalty qui a permis à la Suède de battre la Corée du Sud (1-0) ou celui que le Pérou a manqué avant de s’incliner contre le Danemark (0-1). Mais parfois, c’est lorsque l’œil de Moscou reste clos qu’on parle le plus de lui. Lundi soir, l’arbitre colombien Widmar Roldan n’en a pas référé à son «back-office» mais il a offert un penalty généreux à la Tunisie et en a refusé un plus manifeste à l’Angleterre… Il n’en fallait pas davantage à certains commentateurs britanniques, qui découvrent les émotions générées par le système (testé uniquement lors de tournois FIFA, en Serie A italienne et en Bundesliga allemande), pour décréter qu’il «ruine la Coupe du monde» en attendant de «ruiner le football». Ils redoutent un surcroît de polémiques au moment des matches à élimination directe.

Au-delà d’une «déshumanisation» de l’arbitrage, observée de manière toute relative, les détracteurs de la vidéo craignaient qu’elle modifie profondément le rythme du football. Sur ce point, les premiers matches de la Coupe du monde en Russie les ont sans doute rassurés. Le directeur de jeu n’abuse pas du recours à ses VAR. Il a même plutôt tendance à laisser jouer davantage, conscient qu’il aura l’occasion de se «déjuger» ultérieurement mais qu’il ne pourra offrir une juste réparation après avoir interrompu une action à tort.

Enfin, lorsque l’arbitre a dessiné dans l’air le fameux rectangle, sa décision ne s’est ensuite pas (trop) fait attendre. Il n’a fallu que 49 secondes pour accorder le penalty à la France contre l’Australie, et 65 pour donner le sien au Pérou contre le Danemark. L’Equipe a calculé que la plus longue interruption liée au recours à la vidéo se sera faite au détriment du Costa Rica, qui pressait en fin de match pour revenir contre la Serbie: 127 secondes, pour finalement ne donner qu’un carton jaune à Aleksandar Prijovic, coupable d’avoir donné en courant une petite claque à un adversaire.

Aujourd’hui le Maroc est la première victime de l’arbitrage vidéo car deux fautes de mains étaient manifestement visible mais l’arbitre américain a préféré ne pas recourir à la vidéo.

Des polémiques titanesques dans l’avenir

Nous y sommes l’avenir, Jérôme Latta, rédacteur en chef des Cahiers du football dans sur son blog avait déjà alerté sur les polémiques que l’arbitrage vidéo allait apporter dans le football. Dans on analyse, il revient surtout sur la fréquentation des questions que les gens se posent dans des actions litigieuses en football. Pour lui, ce n’est qu’un exemple de situations très fréquentes, mais que refuse de considérer la vision binaire selon laquelle y a pénalty ou y a pas pénalty, faute ou pas faute, main volontaire ou involontaire, qui solliciteront naturellement le recours à l’arbitre vidéo. Dans cette configuration « 50/50 », deux décisions contraires sont tout aussi légitimes (et déterminantes) l’une que l’autre. De tels cas rappellent qu’arbitrer ne peut être seulement une question de « justice » et d’application mécanique des règles. C’est à la fois la nécessité d’interpréter et celle de trancher pour que le jeu se poursuive.

Quel sens prendra alors une décision vidéo-assistée, prise à froid à partir des images vues par tous et dont chacun aura sa propre interprétation ? Imagine-t-on clairement les polémiques dantesques qu’elle suscitera forcément, appuyées sur des comparaisons avec d’autres situations analogues ? Contrairement à une illusion très courante, les soupçons de favoritisme, de manipulations voire de corruption ne vont pas plus disparaître que le sentiment d’injustice.

Mouhamet Ndiongue

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