Le Hirak, le Makhzen et la démocratie participative, par Anouar Zyne

Le Hirak, le Makhzen et la démocratie participative, par Anouar Zyne

Que l'on soit clair: Nasser Zefzafi n'est pas un enfant de coeur. Pour s'en rendre compte, il suffit de revoir, au hasard, l'une de ses nombreuses vidéos: ce n'étaient évidement plus que des revendications sociales, économiques, culturelles, qu'il portait, mais c'était, dès le soir du décès de Feu Mohssine Fikri, un discours éminemment politique.

Que l'on soit clair aussi: Avec près de 200 arrestations, ce n'est plus une autorité "sereine" qui cherche à maintenir l'ordre public, assurer la sécurité des personnes et des biens, une justice "normale". C'est une purge. C'est éminemment politique.

Que l'on soit encore clair une dernière fois: avec autant de règlements de comptes, de part et d'autres, de récupération, d'activisme, de royalisme, de débat, de communiqués, un accueil des parents de Zefzafi, et, une visite de courtoisie, ce n'est ni anodin, ni patriote, encore moins innocent: c'est éminemment salement politique.

Tout prête à croire qu'il y a loup dans la bergerie: le cartel de la drogue, contrebande et pêche maritime, un cartel aux ramifications insoupçonnables... Les changements de puissances locales et régionales, les variations de pouvoir central, les aléas de la politique politicienne, ont, fatalement, bousculé des équilibres en place. La volonté sincère de moderniser la région, de promouvoir des projets structurants, de mettre en place une économie plus claire, ne plait pas à tout le monde, surtout pas aux puissants historiques. Avec un risque sismique sur leurs activités, les barrons ont d'abord poussé, à l'américaine, dès 2015, une partie du personnel politique à œuvrer pour la légalisation du cannabis. Le débat sur la question, pas plus que les propositions de loi au parlement, n'ont pu aboutir, face à une fin de non-recevoir de Benkirane, alors chef de gouvernement. En un mot comme en mille, pour passer de l'informel au formel, il faut légaliser la première activité génératrice de revenus et d'emplois, et par ricochet, de paix sociale. La maintenir dans l'illégalité tout en imposant un nouveau modèle économique est une mauvaise idée. On ne remplace pas une exploitation de cannabis par un hôtel ou une marina, quoi que puisse prétendre le joli power point exposé dans le cadre du projet «Manarat Al Moutawassit».

Le focus sur les événements de Hoceima ne doit pas détourner de l'essentiel. Ce n'est qu'un doigt. Les sages doivent regarder vers la lune. La lune dit que l'aspiration à une vie digne n'est pas native des six derniers mois. Il y a quelques années de cela, en 2008, un militant rifain répondant au nom de Chakib El Khiyari s'était distingué en défendant, avec acharnement, la préservation et la qualification du site de Marchica près de Nador, et la légalisation du cannabis, notamment par l'idée de faire racheter tous les terrains "fertiles" de la région par l'Etat. Poursuivi, condamné et emprisonné dans un premier temps, il parvient à se trouver une place plus institutionnelle et son idée deviendra "officielle". Le projet est finalement lancé et une agence publique est dédiée à la valorisation du site de Marchica. Chakib El Khiyari est discret depuis...

La lune dit qu'avant Hoceima, bien avant, il y a Sidi Ifni et ses turbulences, la zone de Imiter et le combat de sa population pour préserver l'eau surexploitée par un site minier (SMI),...

il y a aussi mi Fatiha, veuve et commerçante de crêpes, immolée en protestation contre la "hogra" d'un agent de l'autorité, Agouray, le village dans le Haut Atlas ou aucun, même pas l’agent de l’autorité, des 4000 habitants n’a voté le 7 octobre 2016... Qu'après Hoceima, il y a Idya à Tinghir, morte pour non-assistance des services publics de la santé, comme d'autres "victimes" emportées, toujours selon la population, par les défaillances du service public...

La lune dit que les Marocains, croyant à la lettre le discours officiel, ne réclament plus que du pain. Ces mouvements de contestation sont, d'un point de vue de la pyramide de Maslow, "bourgeois", menés certes par des pauvres, mais aux aspirations bien élevées... Ces mouvements réclament de la dignité: un hôpital, de meilleures routes, une université, de l'investissement créateur d'emplois... On est bien loin des temps où il fallait approvisionner les marchés, assurer l’alimentation en eau et le raccordement à l'électricité ou étendre le réseau télécom...

Pour y arriver, à la dignité, droit de base dans les textes, les discours et désormais les esprits, les citoyens doivent, entre autres, élire des gens "bien". Non, ils ne le font pas. C'est une désobéissance électorale.

Ils sortent dans la rue, marchent, crient, scandent. Les demandes sont sur le temps immédiat. La réponse institutionnelle, quand elle arrive, ne peut s'engager sur le temps moyen et long. Son discours est inaudible, tout comme celui des louables initiatives de médiation sociale. Les manifestations se poursuivent dans la rue, et tendent vers la désobéissance civile. La réponse officielle est judiciaire, répressive. C'est le blocage, le vrai. On peut même être nostalgique du blocage de Benkirane…

Pourtant, une voie de recours, voire de secours, existe. Elle est au milieu: entre les institutions élues et inefficaces et la rue poétiquement belle mais toute aussi inefficace, subsiste la démocratie participative. Rendre le pouvoir, spolié un jour de vote, au citoyen, pour qu'il l'exerce tous les jours. Ce n'est pas qu'un slogan, c'est une nécessité. Bâtir cette voie avec les "justes" n'est pas un vœu pieu, c'est une condition de survie. Il s'agit de faire fonctionner correctement les institutions par des citoyens avertis, des forces vives de la nation. Décider de la construction et du fonctionnement d'un hôpital est aujourd'hui possible par et pour les citoyens: par la pétition, le plaidoyer, la justice (plutôt efficace contre l’Administration) ou la coopération avec les élus. Les élections à elles seules, la manifestation isolée ou la répression aveugle ne servent à rien. Personne n'y gagne, et un seul y perd: le Maroc.

Ces quatre outils d'action, voie du milieu, dont fait la promotion le mouvement Changer, depuis quelques mois, constituent une plate-forme de base. Des justes parmi les justes le font déjà, et obtiennent des résultats. Ces outils, disponibles dans l'arsenal juridique marocain, ont fonctionné ailleurs, dans des pays où le narco trafic tenait des zones entières en non-droit par rapport à l'Etat, le Mexique et la Colombie pour exemples (A lire dans le livre «Changer, Debout le Maroc des Justes», en téléchargement libre sur changer.ma).

Le Makhzen n'existe pas là où l'on croit. Il est en chacun de nous. Il prospère par la non-citoyenneté de chacun, par le fatalisme de croire que ce n'est pas possible. Chacun de nous en porte une infime partie. Le Makhzen, c'est le peuple, c'est nous.

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