Pourquoi  le Marocain digère mal « la franchise » ou « saraha » ?, par le Dr Jaouad Mabrouki

Pourquoi  le Marocain digère mal « la franchise » ou « saraha » ?, par le Dr Jaouad Mabrouki

Dans mon travail, j’ai beaucoup de mal à amener mes patients à se remettre en question et à ce qu’ils acceptent « la franchise ». Lorsqu’il s’agit d’eux, ils trouvent normal de « balancer » directement aux autres tout ce qu’ils ont envie de leur dire, tout en trouvant cela légitime. Par contre, quand on leur dit ce que les autres pensent  d’eux avec franchise ou « saraha », ils les qualifient de méchants et de cruels.

Un simple exemple, si un Marocain vous demande de lui prêter un objet ou de l’argent et que vous répondez par « désolé, je ne peux pas », avec franchise et sincérité, il ne va jamais l’accepter et  va en faire un scandale, en vous traitant de tous les noms et de propos tel que « espèce de menteur, il vient de s’acheter un écran plasma, ou un Smartphone dernier modèle, ou une nouvelle voiture et il me dit qu’il est en crise ! », et il va alors couper court avec vous, tout en essayant de se venger dès que l’occasion s’en présentera.

Bien entendu, le Marocain ne peut être en mesure de répondre par « désolé, je ne peux pas » que s’il a vraiment fait un travail sur lui-même et qu’il a adopté cette philosophie de la vie de dire les choses franchement. Si non, face à cette demande le Marocain «  classique » ne peut réagir que des deux manières suivantes :

1/ Parce qu’il n’a pas la maturité nécessaire pour dire ce qu’il pense et par peur de ne pas être aimé, il va répondre par « oui, avec plaisir » malgré lui. Par la suite, il va se torturer jour et nuit et en vouloir   à sa faiblesse et à son manque de courage de ne pas pouvoir répondre par « non, je ne peux pas » et il va se qualifier de faible personnalité incapable de dire ce qu’il a envie de dire. Afin d’être soulagé de cette torture et de cette auto-culpabilisation, sachant qu’il ne s’agit pas de sa première expérience du genre, il va chercher réconfort auprès de son entourage. Seulement, ce dernier va  aggraver sa torture par les bons conseils gratuits « il faut avoir de la personnalité et dire non », alors que ces experts en psychologie et diplômés d’Oxford auraient agi de la même manière que lui s’ils s’étaient trouvés dans la même situation.

2/ En mentant et en disant : « Je te jure que je suis en crise, je te jure que j’ai promis ceci à ma sœur ou à quelqu’un d’autre ». Mais sachant que l’autre ne le croit pas et pour chercher son appréciation, il va finir sa réponse par cette promesse « sois certain que je vais voir ce que je peux faire pour te dépanner ». Même dans cette situation, il se trouvera malade et torturé car il devra donner une réponse dans les jours qui suivent. Il se retrouvera alors à la case de départ et s’en voudra de ne pas être « fort » pour dire non, plutôt que d’avoir donné cette promesse.

Dans les deux cas le Marocain souffre de son incapacité à parler franchement, mais aussi à digérer la franchise. Celui qui doit parler franchement se trouve dans une situation de douleur morale insoutenable et celui qui entend « saraha » le vit très mal et prend cette réponse contre sa personne.

La...

problématique se situe au niveau de « l’amour de soi ». Le Marocain souffre d’une insuffisance accrue de l’amour de soi et quelle que soit la remarque ou la critique,  elle est automatiquement  liée à cette insuffisance. Si par exemple vous faites une remarque négative, l’autre va l’interpréter exactement comme ça « c’est qu’il ne m’aime pas », mais il ne sera jamais  en mesure de se remettre en question et de vérifier le fondement de cette remarque et d’assumer alors  sa part de vérité.

 Lorsque la demande du Marocain est refusée, c’est qu’il n’est pas assez aimé et si c’était un autre, que tout le monde apprécie, jamais on ne lui aurait refusé sa demande.

La même chose se produit chez celui à qui on a demandé quelque chose, il est torturé par l’idée qu’il ne sera pas assez aimé s’il répond par « Non » et afin d’être apprécié et aimé, il dira  « Oui » tout en payant cher, car il va à l’encontre de ce qu’il a envie de répondre.

Ainsi, nous concluons que le Marocain souffre d’un déficit énorme de l’amour et de l’estime de soi, et est constamment à leur recherche. De ce fait, toutes les relations sont fausses et faussées. L’origine de ce malaise se situe évidemment dans l’enfance, où l’enfant n’a pas eu suffisamment d’amour et d’affection de la part de ses parents, mais aussi parce que l’éducation marocaine n’est pas basée sur « le respect d’autrui » et d’être soi-même, sans essayer de paraître poli et gentil pour plaire aux autres. Il est impossible pour un Marocain d’accepter et de respecter que l’autre n’ait pas envie de faire suite à sa demande, même s’il en a la possibilité ! 

L’éducation marocaine nous apprend, malheureusement, à multiplier les masques et à en porter un à chaque situation afin de plaire ou de séduire l’autre, et surtout à ne pas être soi-même et spontané car on risquerait alors de « ne pas être aimé ». Une idée terrifiante pour le Marocain, car il s’agit inconsciemment de « l’amour paternel et maternel ». D’ailleurs, il est toujours dit à l’enfant « agis de la sorte pour que tu sois aimé par tout le monde » ou bien « si tu agis ainsi tout le monde te rejettera ».

Comment peut-on faire croire à l’enfant ce grand mensonge « d’être aimé par tout le monde » ? Pourquoi n’apprenons-nous pas à nos enfants que le plus important est d’arriver à s’aimer soi-même, d’arriver à une autosuffisance en amour, en confiance et en affection et qu’il est impossible d’être aimé et apprécié par tout le monde ?

Notre éducation déforme la personnalité de l’enfant, fait de lui un être à mille masques et chacun de nous le sait pertinemment. Comment voulez-vous que l’on vous croit lorsque vous dites « Désolé, ce n’est pas possible » ? Comment voulez-vous que l’on vous  fasse confiance alors que nous savons que vous portez mille masques ? Pour cette raison, nous sommes dans une société de méfiance, constamment sur nos gardes et en alerte pour répliquer immédiatement.

Sommes-nous responsables de l’éducation des acteurs de la société ou bien sommes-nous une école de théâtre formant des acteurs pour jouer des scénarios préparés préalablement ?

Il est temps de jeter tous ces masques, de revoir notre éducation, de revenir aux bases de la vérité, de donner à nos enfants tous les outils nécessaires pour qu’ils soient « vrais » et jouer leur rôle afin de bâtir une société équilibrée et basée sur des relations sincères et solides.

 

 

 

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