Après avoir adoré Dieu, Fatema et Omar se sont adorés eux-mêmes…, par Sanaa Elaji

Après avoir adoré Dieu, Fatema et Omar se sont adorés eux-mêmes…, par Sanaa Elaji

Maintenant que la tempête s’est calmée, revenons à l’affaire de Fatema Nejjar et de Moulay Omar Benhammad et parlons-en, sereinement. Un des détails les plus importants de cette histoire est que les deux amoureux, et avec eux nombre de ceux qui ont pris leur défense – Abou Naïm, Hammad Kabbadj, Ahmed Raïssouni et d’autres encore –, ont évoqué le supposé mariage coutumier pour couvrir le « scandale sexuel » d’oripeaux religieux. « Scandale sexuel » dans la logique des courants islamiques, bien évidemment, car la défense des libertés individuelles, en tant que principe fondamental, inclut également les différentes mouvances islamistes.

Mariage coutumier, donc ? Fort bien…

D’abord et avant tout, quand on est lié par les liens du mariage, quelle que soit leur nature, mais surtout quand on s’inscrit dans une idéologie qui cadre étroitement et encadre sévèrement  la relation conjugale, on entretient cette relation avec son conjoint dans un lieu intime (appartement, hôtel…), et on ne s’adonne pas à une activité sexuelle dans une voiture, en bord de mer, à l’aube. Un tel comportement sied davantage à des amours volées qu’à une relation dans le cadre d’un mariage, légal soit-il ou même coutumier… à moins qu’Omar et Fatema ne croient en la suprématie impérieuse du corps, qui ne souffre d’attendre l’opportunité du lieu ou de se soumettre au diktat du temps. Mais je ne pense pas que cela puisse relever de leur idéologie.

Plus grave dans cette affaire est le respect des institutions. Raïssouni, depuis Qatar, s’est rappelé à notre bon souvenir pour défendre l’idée du mariage coutumier, aidé en cela par Abou Naïm et les troupes du PJD sur les réseaux sociaux. Hammad Kabbadj (tête de liste du PJD à Marrakech Guéliz) a même osé comparer Fatema Nejjar à Aïcha, l’épouse du Prophète. Et pourquoi tout cela ? Parce que, à leurs yeux et dans leurs esprits, à ces gens, Fatema et Omar sont unis par les liens du mariage coutumier. Or, bien évidemment, le mariage coutumier est reconnu au regard de la charia sauf que… il est illégal. Et ce qui apparaît dans cette affaire est que de très nombreux islamistes ne respectent ni institutions ni lois à partir du moment où ils considèrent que l’union et l’acte sont fondés sur le plan religieux.

Et c’est là le cœur du problème : l’Etat religieux prime à leurs yeux sur l’Etat civil. Sur l’Etat tout court, et tout simplement…

Aujourd’hui, le gouvernement, à travers son ministère de la Justice et des Libertés (quelles libertés ?) dirigé par Mustapha Ramid, œuvre à régulariser les mariages contractés sur une base non légale. Cela signifie que, officiellement, nous aspirons à basculer de l’illégalité vers la légalité… Alors comment peut-on défendre une union que même le gouvernement considère comme étant en infraction au regard de la loi ? En agissant ainsi, ne défendons-nous pas en fait une situation de non-droit, et en réalité le non-respect de la loi ? Comment donc les gens du PJD et le peuple du MUR (Mouvement Unicité et Réforme) peuvent-ils fulminer contre les relations sexuelles librement consenties entre adultes, au motif qu’elles sont amorales, illégales et allant contre les préceptes de la religion, refusant même et avec une admirable fougue  l’idée d’abrogation de l’article qui les interdit, et que, dans le même temps, Ils se dressent comme...

un seul homme pour défendre ces mêmes relations au nom du mariage coutumier ? Imaginons un instant que la police ait interpellé deux personnes en flagrant délit de ce que les islamistes appellent « débauche », et quelques les deux tourtereaux aient déclaré qu’ils sont unis par les liens du mariage coutumier. Imaginons… Ceux qui défendent aujourd’hui Fatema et Omar auraient-ils adopté la même position à leur égard ? Ou alors ne sommes-nous pas, tout simplement, face à une solidarité de clan (de secte ?, NDT), au nom de l’idéologie commune ?

Le mariage, sur le plan de la loi, de la religion et de la société, a des règles qu’il faut respecter… Le mariage ne se réduit pas à une simple phrase récitée par deux personnes pour donner un vernis de légalité à leur union charnelle. Et puis, quand nous décidons de nous inscrire dans un Etat civil et une société modernes, nous nous devons de respecter leurs lois et leurs institutions. Nous ne pouvons vivre en marge et en violation de ces règles, en nous drapant d’une couverture religieuse. Nous ne pouvons ni ne devons enfreindre les lois en invoquant la religion.

Et puis, d’un autre côté, il faut que nous tous réunis, islamistes ou non, comprenions enfin que la morale n’est en rien liée à la piété. Un homme de foi et de croyance n’est pas nécessairement moral de même qu’un non croyant ou un non pratiquant ne sont pas forcément des modèles d’amoralité ou d’immoralité. Dans les sociétés où la religion fait loi, nous rencontrons souvent des comportements douteux sur le plan moral, que nous ne retrouvons pas dans des sociétés où la piété n’est pas obligatoire ni la religion contraignante.

Osons les questions… Les croyants ne craignent-ils donc pas bien souvent de ne pas retrouver leurs chausses à la sortie des mosquées, et même dans la Grande Mosquée de La Mecque ? N’existe-t-il pas des cas de harcèlement sexuel pendant le pèlerinage ? N’assistons-nous pas, ici, au Maroc, à une recrudescence des vols juste avant le ramadan ou en période de fêtes religieuses ? La morale n’a rien à voir avec la piété, disions-nous… et la société japonaise, en plus des Scandinaves, nous donnent le meilleur exemple de cela. Parallèlement à cela, la domination de la religion donne des sociétés comme la nôtre, où les apparences de piété sont centrales, au détriment des valeurs et de la morale. Cette morale prend toute son importance dans le paraître sans pour autant trouver un prolongement dans le comportement des individus, dans leur être.

Seules, donc, les valeurs, le respect des lois et des institutions peuvent nous garantir une société saine. A défaut, nous aurons des gens au sein de nos sociétés qui chantent la vertu face aux caméras, dans les réseaux et les places publiques… puis attendent la première occasion qui se présente pour s’en aller, loin des regards obliques des passants honnêtes, pour s’adonner à ce que la veille seulement, devant ces mêmes passants, ils estimaient être de grands, d’immenses péchés. Et si d’aventure ils venaient à être pris la main dans le sac, ou ailleurs, ils invoqueront immédiatement la religion qui soulagerait leur conscience.

Et ainsi, nous aurons des sociétés qui ne se fondent pas sur les valeurs, mais s’en réclament seulement.

Et alors, maintenant, qui sont les véritables crocodiles et démons (tamassih wa âfarit, en VO)

Al Ahdath al Maghribiya

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