Celui qui aspire à dominer n’a aucune légitimité à combattre la domination, par Ahmed Aassid

Celui qui aspire à dominer n’a aucune légitimité à combattre la domination, par Ahmed Aassid

Deux opinions exprimées dernièrement par deux leaders politiques appellent à une pause et quelques instants de réflexion pour en comprendre le contexte, les perspectives et les fondements. La première est celle de Mohamed el Yazghi, l’ancien Premier secrétaire de l’USFP, qui a déclaré que « le Mouvement du 20 février a stoppé le projet de domination (tahakkoum) du PAM ». La seconde opinion a été exprimée par Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD qui a affirmé « refuser l’idée d’une monarchie parlementaire ».

M. el Yazghi a émis son avis cinq ans après 2011, un éloignement et une distance qui lui permettent de poser la question suivante : « les Marocains ont-ils, finalement, échappé à la domination ?». Son propos pourrait laisser entendre à une personne peu, ou pas, au fait de la politique intérieure nationale que les Marocains vivent dans une oasis verdoyante de démocratie vertueuse.

Quant à la déclaration de M. Benkirane, vainqueur du scrutin de 2011 suite à la vague de manifestations de cette année-là, elle pose un problème encore plus profond. Ainsi, l’homme, depuis son arrivée à la tête du gouvernement, ne cesse de se plaindre du « tahakkoum », contestant les turbulents démons et les crocodiles féroces. Mais, dans le même temps, il assure qu’il est opposé à l’idée de la monarchie parlementaire, autrement dit au « tahakkoum », et que donc il est également opposé au principe que les élus puissent exercer librement leurs  fonctions et rendre des comptes par la suite à leurs électeurs. On peut résumer les choses en disant que, in fine, M. Benkirane est opposé à lui-même, qu’il est « son propre ennemi » : il récuse la domination mais refuse d’y mettre un terme… Et il fait cela, non dans la volonté de cesser d’être le vassal et le serviteur des gouvernants, mais parce qu’il a son idée derrière la tête, son plan supposé être secret mais en fait connu de tous : une alliance d’étape, temporaire, avec le pouvoir, afin d’en apprendre les méthodes et d’en prendre les mécanismes, pour mieux le supplanter à l’avenir.

Nous sommes donc face à deux données : un parti qui dirige le gouvernement mais se plaint de la domination venue d’ailleurs, et une société qui se plaint, elle, de la domination de ce même parti dirigeant le gouvernement, refusant la concertation et la participation, faisant passer les lois rétrogrades selon ses humeurs, aspirant à tout dominer et à phagocyter l’Etat en s’inspirant de la méthode, qui a finalement échoué, des Frères musulmans en Tunisie et en Egypte. Mais les Frères marocains ne désespèrent pas de voir leur action et leurs objectifs réussir au Maroc, en dépit du fait qu’ils savent pertinemment qu’ils ont peu de chances d’y parvenir.

Il semblerait donc que les Marocains n’ont pas eu la chance jusque-là d’échapper à la domination politique. Ils sont toujours pris entre le marteau du pouvoir et de ses lobbies, et l’enclume du PJD et de ses affidés. En d’autres termes, le Maroc se retrouve tiraillé entre la...

domination absolutiste du pouvoir et la domination terrorisante des conservateurs.

Or, il apparaît qu’à l’horizon, nous aurons une sorte d’alliance entre les deux genres de domination, au détriment des aspirations des Marocains à la démocratie. Il existe en effet des projets de lois élaborés par les deux parties et qui mettent en évidence cette future orientation dans la répartition des tâches entre elles. Ainsi, nous voyons un PJD s’inclinant, voire se courbant, face à la corruption effective et à l’absolutisme évident, en contrepartie de ces quelques miettes qui lui sont jetées par le pouvoir dans le domaine de relations sociales forgées par ce parti certes, mais selon la volonté finale et les intérêts de ce même pouvoir, entérinant de la sorte les signes de sous-développement qui nous caractérisent : le mépris des femmes, le travail et le mariage des mineures, la limitation des libertés collectives et individuelles, la résistance face aux entreprises de modernisation de la société, l’encadrement des médias, l’encouragement prodigué aux troubles et abus commis dans la rue… Tout cela est permis au PJD, mais en échange de son acceptation de la logique du pouvoir et de sa faculté à la conduite des grandes orientations publiques.

Ces éléments nous permettent de mieux comprendre le propos de Benkirane et de le remettre dans son contexte, qui est celui de la volonté désormais établie,  aussi refoulée qu’irrépressible,  des islamistes institutionnels à accéder au pouvoir, aux fonctions et à l’argent. Ces gens sont les héritiers de la Tradition qui veut que la religion domine et détermine la politique, et couvre aussi toutes les activités sociales de son ombre tutélaire. La solution qu’ils entrevoient est donc une alliance conjoncturelle avec l’absolutisme pour obtenir les instruments institutionnels qui leur permettraient de s’étendre et de tout prendre.

Mais la faiblesse des islamistes est en cela qu’ils n’ont d’yeux que pour leur politique et leurs stratégies, perdant de vue celles de leurs adversaires. Ainsi, en effet, ils ont toujours abhorré la laïcité et ceux qui portent cette valeur mais ils ne se sont pas rendus compte que, tout à leurs guerres contre ce principe, ils ont beaucoup changé par rapport à ce qu’ils étaient, concédant des choses qu’ils n’auraient jamais pu accepter auparavant. Ils ont agi avec la laïcité comme avec le pouvoir, qui les a adoubés, installés, instrumentalisés et même chosifiés, qui les a poussés à louer sa grandeur et à la légitimer, en attendant ce jour où il se débarrassera d’eux.

Et donc, la défaillance principale ne se trouve pas dans tel ou tel autre parti, mais dans la logique dans sa globalité, dont nous n’avons toujours pas réussi à nous défaire pour aller vers la démocratie. La raison est que nous n’avons toujours pas non plus pu décider de nos orientations qui nous permettraient de barrer la route aux aventuriers de la politique et de la religion.

Quant à M. Benkirane et ses commensaux, nous ne pouvons que leur susurrer à l’oreille que « celui qui aspire à dominer n’a aucune légitimité à combattre la domination ».

(Traduction de PanoraPost)

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