Daech serait-il en train de gagner ? Après les Américains, les Français accepteraient la torture. Et au Maroc ?

Daech serait-il en train de gagner ? Après les Américains, les Français accepteraient la torture. Et au Maroc ?

Au lendemain du 11 septembre, on le sait, les Etats-Unis avaient ouvert le camp de Guantanamo, et avaient entrepris d’y torturer à tour de bras, les malheureux qui s’y trouvaient. Aujourd’hui, en France, selon un sondage IFOP commandé par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, plus de 50% des Français seraient favorables à l’usage de violence dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, et même dans des affaires pénales ordinaires (immigration, délits...).

La torture en France, selon l'IFOP et l'ACAT

54% des sondés trouvent justifié qu’un enquêteur envoie des décharges électriques sur un individu susceptible d’avoir posé une bombe sur le point d’exploser. « Faire parler » est devenu le maître-mot, donc, plus fort que celui de droits de l’Homme.

En France, donc, c’est la gégène qui est privilégiée, contre le waterboarding (simulacre de noyade) aux Etats-Unis. Question de culture et d’histoire sans doute…

Ce qui est inquiétant est que ce chiffre de 54% n’était « que » de 34% en 2000, avant les grands attentats d’al-Qaïda puis, bien plus tard, de l’organisation terroriste dite « Etat islamique ».

36% des Français estiment que, dans certains cas exceptionnels (attentats, guerre, etc.), « on peut accepter le recours à la torture ». À titre de comparaison, ils n'étaient « que » 25% à le penser en 2000, selon une enquête similaire réalisée à l'époque par Amnesty International. Plus inquiétant encore, 18% des Français se sentiraient capables de pratiquer eux-mêmes la torture dans des cas exceptionnels. « C'est d'autant plus terrifiant que les personnes ont répondu à ce sondage alors qu'elles étaient tranquillement assises chez elles, derrière leur ordinateur, sans la moindre figure d'autorité », remarque le délégué général de l’ACAT Jean-Etienne de Linares.

Pire encore… la torture peut, selon les sondés, être pratiquée même en dehors des cas de terrorisme. Ainsi,  42% pensent qu'il peut être justifié que des fonctionnaires des services d'immigration bâillonnent et menottent un immigré clandestin qui s'oppose à son expulsion vers son pays d'origine. Et 25% estiment qu'un policier peut, lors d'un interrogatoire, gifler un individu pour lui faire avouer un crime. Autre chiffre :  14% des personnes interrogées considèrent que priver quelqu'un de nourriture et de sommeil n'est pas un acte de torture en soi.

L’ACAT a commandé ce sondage pour les besoins de son rapport 2016, mais ses dirigeants n’en oublient cependant par le Maroc… En effet, répondant aux questions de l’AFP, Jean-Etienne de Linares a dit que « par rapport à l’interdit absolu de torturer, les digues cèdent les unes après les autres : acceptabilité plus grande dans l’opinion, discours guerriers, complaisance à l’égard d’Etat pratiquant la torture comme le Maroc…  Qui sait ce qu’il se passera s’il y a 5 ou 10 attentats de plus ».

Le rapport 2016 de l’ACAT examine à la loupe neuf pays, dont l’Allemagne, la Tunisie, l’Ouzbékistan, le Mexique, l’Uruguay, mais c’est le Maroc qui revient en premier dans l’esprit du délégué général de l’ACAT, qui précise en outre que « les Français ne se rendent pas compte qu’un Etat sur deux est un Etat tortionnaire qui utilise au quotidien ces méthodes » pour faire parler les suspects et faire taire les opposants. Mais c’est le Maroc qui revient encore et toujours dans les propos de l’ACAT. Il est vrai que l’association est l’un des grands défenseurs de Zakaria Moumni, ce qui crée des liens…

Qu’en est-il de la torture au Maroc ?

Voici quelque mois, Amnesty International avait évoqué 173 cas relevés en 4 ans. En 2013,...

le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la Torture Juan Mendez était venu sur nos terres, et dans nos prisons, et avait dit en substance que si le Maroc peut mieux faire en matière d’éradication de toute forme de torture, il a néanmoins beaucoup fait. Il faut donc laisser du temps au temps, à partir du moment où une dynamique est enclenchée.

Dans un récent entretien avec un média étranger, le chef du BCIJ Abdelhak Khiame avait émis une idée intéressante, à savoir que les détenus/suspects risquant de lourdes peines de prison avancent toujours l’argument de la torture.

Deux raisons à cela, d’abord, s’attirer la sympathie d’ONG locales ou non et, ensuite, revenir sur d’éventuels aveux faits devant les enquêteurs. Et Khiame d’ajouter que même quand il obtenait des aveux, il les confrontait toujours avec des réalités et demandait des preuves car pour les affaires de terrorisme, il ne faut pas « seulement faire du chiffre », comme le dit le délégué général de l’ACAT, mais surtout obtenir des résultats.

Ces deux dernières années, il faut savoir rendre grâce au ministre de la Justice et des Libertés Mustapha Ramid et au président du CNDH Driss Yazami qui, pas à pas, font reculer les pratiques de torture dans les lieux de détention, commissariats ou prisons. On ne peut certes pas prétendre que la pratique a disparu, loin s'en faut, mais on ne peut nier les grandes avancées réalisées par le Maroc. On entend de plus en plus parler de policiers sanctionnés pour actes de torture, et on entend aussi de plus en plus de procès suspendus ou interrompus pour cause d'aveux extorqués sous la torture... De même que, bien malheureusement, on apprend aussi ces cas de personnes ayant succombé dans des lieux de détention et les parquets qui classent leurs affaires sans suite.

De l'utilité, ou non, de la torture 

Maintenant, la question reste ouverte : si on arrête un homme sachant avec précision où se trouve une bombe dans un train bondé, en France, au Maroc, en Allemagne ou ailleurs, et si les enquêteurs savent que cette bombe explosera dans le quart d’heure, quelle attitude adopter ? Robert Badinter, l’avocat français qui avait aboli la peine de mort en France en 1981, avait dit une fois que « dans nos sociétés civilisées, on ne touche pas à l’intégrité physique des personnes ». On peut être d’accord avec lui, ou pas.

« Il existe un fantasme selon lequel il vaut mieux faire souffrir quelqu'un pour sauver des vies. C'est ce qu'on appelle le scénario de la bombe à retardement. Sauf que dans les faits, cette thèse a largement été remise en cause », insiste Jean-Etienne de Linares. « Les agents secrets le savent: les détenus parlent mais ne donnent pas de renseignements fiables ».

En 2014, un rapport du Sénat américain allait dans le même sens. Après cinq années d'enquête sur la torture exercée par la CIA après les attentats du 11 septembre 2001, les sénateurs avaient découvert que les informations obtenues sous la contrainte n'avaient jamais été utiles pour lutter contre le terrorisme. « Sans compter que c'est contre-productif», complète le responsable associatif. «En torturant, vous créez des martyrs, vous inspirez la vengeance, rien d'autre ».

Le débat reste ouvert…

Pour ceux qui sont favorables à la torture, le risque est sa généralisation, et pour ceux qui y seraient opposés, le risque est la mort atroce de dizaines d’innocents et le deuil pour leurs familles.

Commentaires