Un coup de maître royal, tout en symboles, pour la Fondation des oulémas africains

Un coup de maître royal, tout en symboles, pour la Fondation des oulémas africains

Le roi Mohammed VI a nommé hier les 119 membres du Conseil de la Fondation des oulémas africains. Une opération d’une grande précision, pour une portée (géo)politique d’envergure. Le dispositif mis en place par le Maroc en matière religieuse en Afrique prend forme peu à peu. Cela se reflète dans la symbolique retenue et dans l’allocution prononcée par Mohammed VI. Les détails

L’affaire est importante car après l’installation de l’Institut de formation des imams et des conseillers et conseillères d’orientation en 2014, le roi Mohammed VI a parachevé son dispositif par la désignation des membres du Conseil supérieur de la Fondation éponyme des oulémas africains.

Le Maroc s’ancre donc un peu plus dans son rôle de passerelle religieuse entre Afrique et Europe, avec cette Fondation qui rattache davantage l’islam africain au Maroc et à son institution de la Commanderie des croyants, et aussi avec l’Institut de formation des imams qui s’exporte tant au Sud qu’en Europe (France, Hollande, Espagne, et bientôt Belgique).

La symbolique première, qui n’est certainement pas une coïncidence, est qu’avec les 20 Marocains du Conseil supérieur, il y a 99 oulémas étrangers, autant que les noms de Dieu en islam. La « haute hiérarchie » religieuse marocaine est représentée, avec notamment Mohamed Yssef, secrétaire général du Conseil supérieur des oulémas, Ahmed Abbadi, secrétaire général de la Rabita Mohammadia des oulémas et Ahmed Al Khamlichi, directeur de Dar Al Hadith Al Hassania, connu pour ses prises de positions modernistes.

La 2nde symbolique tient dans le lieu où s'est tenue la cérémonie de désignation. La mosquée Qaraouiyyine et non le palais royal... Si le second représente le pouvoir temporel du roi, la première souligne bien plus sa fonction spirituelle. Choisir la mosquée comme endroit pour lancer la Fondation, avec ses membres, est donc d'une importance symbolique capitale car on sait qu'elle est aussi ancienne dans l'Histoire qu'importante dans l'islam malékite, voire l'islam tout court.

Mohammed VI a d'ailleurs dit tout cela, tout en allusions : «  Nous avons décidé que la Fondation Mohammed VI des Oulémas africains ait son siège à Fès, eu égard au statut religieux dont jouit la cité en tant que capitale académique et spirituelle du Maroc. Le choix de Fès tient aussi à la considération que Nous lui portons, compte tenu de la place qu’elle occupe dans le cœur des Africains ». Et voilà, en une phrase, le lien est établi entre spiritualité du Maroc et spiritualité en Afrique, et en phrasen la préséance marocaine en matière de religion est suggéré, et certainement compris...

La  3ème symbolique est que toutes les régions d’Afrique sont représentées, Corne de l’Afrique, Afrique centrale, Afrique australe, Afrique de l’Ouest et Sahel.  Sur la cinquantaine de pays africains, trente sont représentés dans le Conseil, plus de la moitié de ceux qui sont membres de l’Union africaine. Que leur a dit le roi dans son discours ? Il a évoqué les « des liens spirituels qui unissent depuis toujours les peuples africains subsahariens au Roi du Maroc, Amir Al-Mouminine ». Voilà comment on s’impose par le cœur et par l’esprit, plus que par la poche ou la contrainte…

La 4ème symbolique est que les pays traditionnellement hostiles au Maroc pour la question du Sahara sont représentés, sans exclusion ni exclusive. Ainsi, il y a dans ce Conseil 12 Nigérians, dont 3 femmes ; il s’agit du plus fort contingent, reflétant la très forte population musulmane de ce pays, (la moitié des 160 millions d’habitants), dont est issu le président Buhari... Mais on trouve également 7 Mauritaniens, ce qui est une...

indication sur le prolongement spirituel de la Commanderie des croyants dans ce pays où le président n’est pas franchement amical avec Rabat. Enfin, au sein du Conseil, ont été nommé 1 Angolais et 3 Sud-Africains.

Les autres pays sur-représentés sont des amis du Maroc, comme le Sénégal (8), le Mali(8), la Côte d’Ivoire (4), le Burkina Faso (4) et la Guinée Conakry (4).

La 5ème symbolique est exprimée par le fait qu’il n’y a pas de représentants arabes dans ce Conseil (à l’exception des 7 Mauritaniens et des 3 Soudanais, deux pays davantage rangés dans le Sahel que dans le monde arabe, même s’ils y appartiennent). Cela signifie que l’orientation est africaine, résolument africaine, dans une stratégie semble-t-il aussi bien conçue que préparée, et avançant à petits pas. Mohammed VI l’a d’ailleurs explicitement affirmé dans son allocution, quand il a dit qu’il considère l’initiative de cette fondation « comme un jalon de plus dans notre orientation stratégique visant à hisser les relations de coopération politique et économique qui unissent le Maroc à un certain nombre d’Etats africains frères, au niveau d’un partenariat solidaire efficace, dans les différents domaines ». Ainsi, on passe et on tisse des passerelles entre le religieux d’une part, le politique et l’économique d’autre part. Et quand on connaît l’influence de la religion dans la psyché des musulmans, on mesure l’importance de ladite initiative.

La 6ème symbolique est l’effectif des femmes, 13 étrangères et 4 marocaines, dont les Pr Zahra Najia Zahraoui et Naïma Bennis, grandes défenseures de la cause et des droits des femmes en islam, le Pr Souad Rahaim, théologienne enseignante d’université, et Widad El Aidouni, théoricienne de la modernité en islam, fondée sur la Tradition. Les quatre femmes ont déjà animé des causeries religieuses de ramadan, et on sait que le choix des conférenciers et conférencières est soigneusement effectué, selon des angles de pensée bien déterminés et des messages à distiller encore plus précis. Au total, l’effectif féminin de ce Conseil représente 10% du total, un petit pas pour les puristes, un pas de géant pour les réalistes.

La 7ème symbolique tient dans le message adressé au monde, bousculé par le fanatisme religieux islamique et malmené par les migrations, résultante de l’instabilité, de la précarité et de la pauvreté des populations migrantes. Voici ce que dit Mohammed VI : « la Fondation (sera) au service de la sécurité, de la stabilité et du développement en Afrique ». Les deux maîtres-mots qui seront retenus sont « stabilité » et surtout « sécurité » : la Fondation, en effet, pour le roi, devra « répandre la pensée religieuse éclairée et de faire face aux thèses d’extrémisme, de repli sur soi et de terrorisme que certains pseudo-prédicateurs colportent au nom de l’Islam ».

La politique africaine religieuse du Maroc se renforce donc avec cette Fondation, dont on peut mesurer l’importance et l’impact futur sur et dans les pays qui y figurent, au-delà de leurs structures et institutions politiques. Pour les pays hostiles au Maroc, la présence d’oulémas sera porteuse de réflexion sur le rôle africain de Rabat, alors que pour les amis du royaume, la désignation d’oulémas au sein de la Fondation ne posera pas de problème.

A la suite de tout cela, le roi a offert un iftar à ses invités. On aurait aimé connaître l'identité de ceux qui étaient conviés à sa table en plus de Benkirane, de Toufiq et de Yssef, mais le palais (et la MAP) ne vont semble-t-il pas dans ce type de détails, qui auraient (quand même) eu leur importance...

Aziz Boucetta

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