Parfois, le lobbying marocain aux Etats-Unis fonctionne bien…

Parfois, le lobbying marocain aux Etats-Unis fonctionne bien…

Dans les milieux spécialisés et les médias au Maroc, le dernier rapport du Département américain sur la situation des droits de l’Homme chez nous passe mal. Les réactions se sont enchaînées ici, toujours énervées, souvent interrogatives, rarement réfléchies. Au lieu de s’attaquer aux Américains à partir de Rabat, il est préférable d’expliquer aux mêmes Américains directement à Washington. Et c’est le sens d’un article du site The Hill, média incontournable pour bien connaître les rouages des (fort complexes) institutions américaines.

Cet article, intitulé « l’alliance US-Maroc est aussi forte que les valeurs sur lesquelles elle se fonde », est cosigné Ahmed Charaï (patron de presse marocain et lobbyiste bien connu à Washington) et James L. Jones. Qui est cet homme ? Un général 4 étoiles de l’armée US, ancien commandant du très prestigieux (et martial) corps de Marines et aussi, et surtout, ancien conseiller à la Sécurité nationale des Etats-Unis en 2009-2010. L’homme est incontestablement très écouté sur les bords du Potomac et au sein du Pentagone.

Que dit l’article ? Il revient sur le contenu du fameux rapport et note bien que les éléments qui y figurent sont graves, notamment les arrestations et détentions arbitraires  et aussi les entraves et fortes restrictions à la liberté d’expression, sur tout le territoire marocain, Sahara compris. Mais les auteurs de l’article, après avoir souligné la réaction du Maroc démentant ce contenu, insistent sur la solidité des relations unissant Rabat et Washington, qui n’a égale que leur ancienneté. Ils évoquent la coopération des deux Etats pour la sécurité en Afrique et au Moyen-Orient, ils rappellent l’Accord de libre-échange signé entre Rabat et Washington (le premier du genre au sein du monde arabe). Mais ils insistent aussi particulièrement sur le fait que depuis 17 ans (donc depuis l’intronisation de Mohammed VI), le Maroc scrute le Etats-Unis pour s’inspirer de leurs institutions afin d’en transposer l’esprit dans les siennes.

La précision est essentielle en cela que c’est cette inspiration qui a fait monter les Marocains aux créneaux suite au rapport hostile...

aux intérêts du Maroc. Mais si le rapport a suscité la colère de Rabat, il comporte aussi en lui-même les contours de la solution pour une sortie de crise…

En effet, le général américain rappelle les avancées incontestables, et incontestées, du Maroc en matière de droits, de réconciliation avec le passé (l’Instance Equité et Réconciliation), de lutte contre le radicalisme, de droits des femmes… et explique que c’est cela qui, lors du printemps arabe, a conduit les manifestants à ne pas réclamer une chute du régime, mais une réforme de ses institutions. Ce qui fut fait. Il faut donc privilégier le dialogue au coup de massue, suggèrent les auteurs de l’article.

A n’en pas douter, les sénateurs liront cet article, les représentants aussi, et les petites et grandes mains du processus de décision à Washington aussi. Tous ces gens ont un respect singulier pour leur armée et leurs grands officiers, et le général Jones en est un, auréolé de son titre de 32ème commandant du Corps des Marines.

L’article s’achève sur un conseil de sagesse adressé aux décideurs américains, leur indiquant que le Maroc et les Etats-Unis étant de vieux alliés, que le premier a pris exemple sur les seconds pour améliorer ses institutions, et que les choses ne peuvent s’améliorer que par le dialogue.

L’approche est infiniment plus fine que cette idée d’aller vers les institutions compétentes américaines pour faire rendre gorge au Département d’Etat, tel que l’a indiqué le communiqué du gouvernement marocain. Si cette action est entreprise, et que le Maroc ait gain de cause, il en jubilera quelques jours avant d’en avoir à pâtir durant des années. Les Américains sont rancuniers, on le sait, mais on sait aussi qu’ils aiment s’imposer comme les maîtres du monde. Laissons-les faire, et agissons en finesse. On ne se bat pas contre un poids-lourd quand on n’en a pas le poids, mais on ruse. Et c’est là l’avantage de cet article dans The Hill où le lobbying (pratique très courante outre-Atlantique) marocain a fait quelque chose de bien.

Aziz Boucetta

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