Cette alliance entre « les esclaves du passé » et les « chantres de la modernité », par Hicham Rouzzak

Cette alliance entre « les esclaves du passé » et les « chantres de la modernité », par Hicham Rouzzak

Je suis toujours troublé, et pour de multiples raisons, par ces phrases toutes prêtes que l’on sort lorsqu’on évoque cette chose appelée « monde arabe » et cette autre, qualifiée de « monde musulman ». Mon trouble ne provient pas nécessairement et uniquement de cette classification de mauvais aloi d’appartenances raciales et/ou religieuses, mais du nivellement imposé que certains veulent nous faire admettre en nous identifiant tous autant que nous sommes et de la même manière à un espace géographique.

Avec les ami(e)s qui vivent ou sont étiquetés comme relevant de ce monde dit arabe, et loin des discussions sur les questions du nationalisme contraint qui veut faire de nous des associés impliqués dans le passé, le présent et l’avenir, je m’aperçois chaque fois un peu plus que ce monde que l’on veut et que l’on voit monolithique est en fait … des mondes multiples.

J’interroge souvent mes ami(e)s… « Comment pouvez-vous envisager, fût-ce une seule seconde, que les Libanais, les Tunisiens et les Marocains puissent être classés de la même manière à l’égard des libertés, par exemple, que les gens du Golfe ou d’autres qui leur rassembleraient ? ».

Et pour notre grand bonheur, assurément, dans nos mondes arabe et islamique, il existe des pays et des nations comme le Liban, la Tunisie et le Maroc. Et par chance encore, nous ne pouvons mettre ces trois pays dans la même catégorie que d’autres. Pour dire les choses simplement, il est difficile de mettre sur le même plan des gens qui marchent, même en trébuchant parfois, avec d’autres qui n’ont même pas encore appris à se tenir debout…

Quand je me souviens que, dans mon pays… dans les années 50, feue Touria Chaoui pilotait un avion, et que je regarde, aujourd’hui, autour de moi, et que je vois des Saoudiennes batailler âprement pour avoir le simple droit de conduire une voiture, et que j’en vois d’autres qui ne peuvent pas encore quitter leurs domiciles sans un proche, père, frère, fils ou oncle… Quand je médite sur cela, je rends grâce à la Providence d’avoir fait de ce monde arabe des mondes arabes et de ce monde musulman des mondes musulmans.

Je la remercie d’avoir rendu impossible que nous nous ressemblions, et par bonheur nous ne nous ressemblons pas.

En Arabie Saoudite, des femmes ont exprimé encore une fois, une fois encore, leur « droit » à conduire une auto, et elles ont appelé à organiser un événement appelé « le 15 juin, je conduirai ma voiture »… elles ont dit cela et aussitôt après, elles ont reçu un flot d‘injures, de menaces d’excommunication et de menaces tout court !

Dans mon pays, on ne compte plus les femmes qui ont écrit de belles choses sur ce qu’est une appartenance nationale, et elles ont écrit cela quand le Maroc avait la forme d’une immense prison… des femmes, comme Fatima Aherfou, Saida Mnebhi ou encore « Mmi Fama »… et bien d’autres comme elles.

Mais dans mon pays, certains veulent aujourd’hui nous accoler et nous identifier avec ces espaces géographiques du néant humain absolu, du désert humaniste.

Ils veulent nous importer, puis nous faire supporter, cette chose calamiteuse appelée « crime d’honneur », elle-même fondée sur la logique de l’instinct et la pratique du bédouin.

Ils veulent créer un « machin » de la parité, qui rendrait les hommes plus pairs encore entre eux qu’avec les femmes, une loi qui les favoriserait, mais au nom des femmes.

Dans mon pays, certains veulent encore voir les femmes comme les scrutent et les considèrent les télés des grandes étendues pétrolières… ils veulent que les petites-filles et arrière-petites-filles de Touria Chaoui, de « la Dame Libre », de  Mmi Fama, de Fatima Aherfou soient mises sous la coupe de ce proche, père, fils, oncle… qu’elles soient reléguées à un temps que personne n’a connu ni ne veut connaître, ce temps où il faut risquer sa peau pour conduire une voiture, et où on risque sa peau du fait même d’être une femme…

Mais il y a pire que ces gens-là… il y a pire…

Ce sont ceux qui se présentent masqués, sous couvert de progressisme, dans ce monde prostré appelé politique, ceux qui veulent nous convaincre que dans toute cette médiocrité ils sont et resteront le dernier rempart… non pas pour protéger l’avenir mais pour laisser perpétuer...

le passé. Ils veulent nous faire croire qu’ils n’ont renoncé ni à leurs idées, ni à leurs idéaux ni à leurs idéologies, et qu’ils sont les ultimes samouraïs de la lutte de la liberté contre la tyrannie.

Ces « modernistes » ont vu, de leurs propres yeux, passer cette abjection qu’est le crime d’honneur, passer dans un projet de loi promulgué par le gouvernement dont ils sont membres… et ils ont vu passer aussi l’histoire de la parité qui ne respecte pas les principes élémentaires de toute parité, telle qu’universellement connue.

Et ils verront encore, ces autoproclamés modernistes, ils verront encore, et entendront ces gens comptant parmi leurs alliés « stratégiques »  qui s’égosilleront pour abaisser encore plus, humilier davantage les femmes, en paroles et en actes.

Mais malgré cela, ils persisteront à affirmer haut et fort qu’ils s’accrochent aux libertés de toutes la force de leurs dents… mais, horreur, comment donc s’y prendraient-ils pour s’accrocher à quoi que ce soit avec leurs dents alors qu’ils les ont toutes perdues à s’accrocher aux strapontins ministériels ?

Et à chaque fois, la femme marocaine, au détour d’une phrase lancée froidement, ou avec une comparaison douteuse, si ce n’est au moyen d’une des fatwas émises par ceux qui font de la religion sous couvert de politique… à chaque fois, donc, la femme marocaine perd un peu de son sens, de sa consistance et de son importance.

… et à chaque fois, immanquablement, il se trouve des gens qui viennent nous dire que les Marocains ont voté pour cette « culture »,  qu’ils souhaitent donc le triomphe de ce mode de pensée qui ne nous ressemble pourtant guère dans son extrémisme et sa fermeture sur son environnement.

… et à chaque fois toujours, les « alliés stratégiques » de cette culture venait nous servir les mêmes arguments éculés, tantôt dans l’accusation de trahison (haute ou pas), tantôt par la menace et l’intimidation. Ils nous disent, comme ça, qu’ils préfèrent soutenir ce type d’absurdités pour ne pas avoir à se ranger aux côtés de ceux qui veulent tuer la démocratie !

Remarquons que de la même manière que les islamistes avaient été instrumentalisés hier pour museler toutes les voix qui parlaient de liberté, voilà qu’aujourd’hui certains usent et abusent de l’épouvantail du contrôle politique (tahhakoum) et de l’Etat profond, ou séculaire. Leur but est de bloquer les questions sur la poursuite de ce processus que nous avons eu l’illusion de croire un jour qu’il était fait et conçu pour un meilleur avenir… avant que nous ne découvrions, un jour, que l’avenir, quand cet avenir est placé entre les mains des « esclaves du passé » ou « des adorateurs de la religion, non de Dieu »… cet avenir devient épouvantail.

Un épouvantail qui refuse la mise en œuvre de la constitissioune, qui rejette l’institutionnalisation du pays, qui se détourne des véritables problèmes des gens… et se contente d’accuser les autres de vouloir tout contrôler et de vouloir partout dominer.

Mais soyons clairs encore une fois… dans ce genre de comparaison scélérate, et même abjecte, celui qui menace ta liberté au nom de la politique et du pouvoir est un bien moindre mal que celui qui veut attenter à ta vie au nom de la religion.

Et donc, dans toute cette absurdité, il ne nous manque plus qu’une seule chose, qui est que les « modernistes de l’alliance stratégique » tombent leurs masques… par exemple, quand leur ministre de l’Emploi, moderniste lui aussi bien évidemment, présente un projet de loi avec lequel il se couche devant ses alliés et ceux de son parti… une loi qui « légalise »  le travail des mineur(e)s, qui permet de soumettre au labeur des jeunes enfants de 16 ans.

Une loi… qui reprend les plus belles valeurs humaines et qui loue la constitution, mais qui, au final, entérine cette seule « culture » des maîtres et des esclaves.

Dans mon pays, nous ne ressemblons pas à tant de ces contrées où la tyrannie sévit, mais…

Certaines choses qui se produisent ici, chez nous, aujourd’hui, certaines choses endossées par les « esclaves du passé » dans leur « alliance stratégique » avec « les chantres de la modernité »… sont l’expression d’une grande arriération.

Il s’agit, simplement, d’une hérésie consciente du passé et du présent, aux fins d’appartenance à une nouvelle religion… dont la foi se résume dans le pouvoir et les rituels sont dans la courbette.

Al Ayyam

Commentaires