Dieu est à sa place, restez à la vôtre !, par Sanaa Elaji

Dieu est à sa place, restez à la vôtre !, par Sanaa Elaji

Quand j’entends, je regarde et je lis les commentaires sur la maladie de l’actrice Angelina Jolie, je suis prise tour à tour de sentiments contradictoires, entre le rire, la stupéfaction et la colère… Le débat tourne autour de la question de savoir si cette dame ira, si elle venait à décéder, au paradis en raison de ses œuvres de bienfaisance ou en enfer parce qu’elle n’est pas musulmane, mais « mécréante »…

Les tenants de cette dernière thèse ont décidé qu’Angelina Jolie est une infidèle. Point et retour à la ligne… où commence le sous-développement mental. Ces gens-là, bien évidemment, ne pensent pas une seule seconde qu’en réfléchissant comme ils le font, ils ont pris la place de Dieu pour décider qui est croyant et qui ne l’est pas, décider de ceux qui ont fait œuvre pie et les autres. Ils se sont emparés des clés du paradis afin d’y admettre qui ils veulent et d’en exclure ceux qui ne répondent pas à leurs critères, autoproclamés. N’est-il donc pas admis que c’est Dieu, et lui seul, qui estime la nature de nos actes et qui décide de ceux qui iront au paradis et des autres qui brûleront en enfer ?

Mais il y a d’autres « penseurs », qui s’interrogent : Angelina Jolie doit-elle bénéficier de nos prières pour son rétablissement, voire sa guérison, ou alors ces prières devraient-elles aller en priorité aux malades et blessés de Gaza, de Syrie et d’Irak, qui doivent avoir la prééminence de nos supplications ? Mais, bien entendu, ces gens-là qui pensent ainsi ne songent aux populations sinistrées de ces pays que quand il s’agit de répondre et de faire surenchère à ceux qui évoquent les malades des pays riches. Et il est bien possible qu’Angelina Jolie ait fait pour les blessés des pays arabes en guerre bien plus que ces gens assis devant leurs ordinateurs, recensant les actes de l’actrice souffrante.

Mais, globalement, si ces personnes ont le plein droit de ne réserver leurs prières qu’aux blessés d’Irak et de Syrie (en espérant qu’ils n’en excluent pas les chrétiens), il nous appartient à notre tour de faire montre de solidarité avec l’humanité…

Supplanter Dieu dans le jugement des croyances des gens est une posture qui dépasse le cas récent d’Angelina Jolie ; ce comportement est devenu habituel, routinier. Sur les réseaux sociaux, chacun s’arroge le droit d’émettre des jugements sur la mécréance, la foi ou l’athéisme de son prochain. Mais posons-leur cette question : « Devrions-nous considérer les criminels de guerre musulmans, les corrompus et détourneurs de biens publics musulmans, les tueurs, les voleurs et les violeurs musulmans (sachant qu’ils ne sont musulmans que par défaut et non par choix) comme plus pieux et plus aptes à bénéficier de nos prières que des gens, non musulmans mais ayant de très hautes valeurs morales ? ».

Tout ceci nous ramène au « jihad par le cœur », qui est le moins violent, car il...

existe tant et tant de personnes tout à fait disposées à brandir les armes s’ils le pouvaient. Ce « jihad par le coeur », nous le trouvons dans les journaux électroniques et dans les réseaux sociaux. Il arrive, en effet, que quelqu’un affiche une opinion qui ne va pas dans le sens général de l’opinion publique, et parfois cette idée concerne des sujets sensibles comme le rapport à la religion, la liberté sexuelle, l’homosexualité… S’il est normal que cet individu soit critiqué et contredit pour ses positions car le débat est naturel, il est bien moins admissible qu’il soit attaqué avec virulence, parfois avec violence… insulté, rabaissé, humilié, lui et sa famille. Décadence, quand tu nous tiens…

Chaque fois qu’il m’est donné de regarder une vidéo ou de lire un post et que je pense que cette vidéo ou ce post pourrait déranger et heurter certaines personnes, j’entreprends la lecture des commentaires qui les accompagnent… Et à chaque fois, je suis consternée par la violence des propos tenus par ceux qui pensent le contraire de ce qui est publié. Les commentaires les plus risibles, et les plus douloureux aussi, sont ceux où leurs auteurs (agissant anonymement, avec faux noms et fausses photos) insultent copieusement les auteurs des vidéos ou posts et les traitent d’ennemis de l’islam, de la religion et de la morale. Est-ce donc avec l’insulte la plus outrancière que quelqu’un s’estime plus pieux, défend mieux la morale et soutient davantage sa religion ? Pourquoi donc les gens n’expriment-ils pas leur différence avec courtoisie ? Et pourquoi donc (et c’est le plus important) n’opposent-t-ils pas des arguments contraires à ceux qu’ils contestent, afin d’enrichir le débat ?

Dans une édition de l’émission « hadith al-arab » (débats arabes), l’invité Ibrahim Balihi apporte une explication qui pourrait être convaincante. Pour lui, ces comportements sont une marque d’ignorance, et l’ignorance est mère de violence et d’exclusion. Plus un individu est ignorant et plus il est convaincu que le peu qu’il sait est le savoir même. Pourquoi donc ? Parce que c’est la seule chose qu’il sait (même s’il ne la sait pas comme il faudrait)… cet individu ignore, encore, que la vérité n’est jamais absolue et que pour chaque vérité, il existe une multitude de variantes, qui lui échappent…

En effet, réfléchissons à cela… plus nous apprenons de choses et plus nous savons de choses, et plus nous cherchons à en savoir plus. Or, un ignorant est précisément quelqu’un qui ne sait pas grand-chose mais qui est convaincu d’être détenteur du savoir universel, alors même que le peu qu’il sait, il ne le sait que superficiellement ! Une ignorance double, une ignorance trouble, une ignorance qui conduit à la violence d’abord verbale et ensuite physique d’individus bousculés par des contradicteurs qu’ils n’ont pas d’autres moyens d’affronter que par la violence.

Ces gens tombent encore plus profondément dans leur ignorance et leur inconsistance : ils défendent la morale et la religion par des moyens absolument amoraux, bannis par la religion…

Al Ahdath al Maghribiya

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