De la notion de califat, par Abdelali Hamieddine

De la notion de califat, par Abdelali Hamieddine

Je ne comprends pas vraiment les réactions musclées et outrées aux propos de Mohamed Abbadi, le secrétaire général de la Jamaâ al Adl wal Ihsane, qui n’a pas plus dit que ce qu’affirmait de son vivant le fondateur du mouvement cheikh Abdeslam Yassine.

Ce qu’a donc déclaré Mohamed Abbadi tient d’une conviction politique bien ancrée, et c’est pour cette raison que la critique de ses propos doit aller plutôt vers les fondements idéologiques et politiques originels qui les ont inspirés et non  vers la personne du SG qui n’a fait que refléter avec fidélité le positionnement et la vision politiques de sa Jamaâ.

Le défunt Abdeslam Yassine considérait donc « le califat selon la méthode prophétique » comme le 4ème et dernier objectif stratégique, après l’établissement de la Jamaâ (collectivité) unifiée, de l’Etat islamique unifié et, enfin, après l’unification de toutes les contrées islamiques. Et dans son prosélytisme en vue de la réalisation de cet objectif, Yassine s’appuyait sur un Hadith de Mohammed, souvent repris dans ses écrits, et dans lequel le Prophète annonçait l’évolution des types de pouvoirs : « La prophétie sera en vous comme Dieu l’aura voulue, puis Dieu y mettra un terme quand Il le voudra, puis elle sera un califat selon la méthode prophétique comme Dieu l’aura voulu, et Il y mettra un terme quand Il le voudra, puis elle sera une royauté affermie comme Dieu l’aura voulue, et Il y mettra un terme quand Il le voudra, puis elle sera une royauté despotique comme Dieu l’aura voulue, et Il y mettra un terme quand Il le voudra, puis elle sera un califat selon la méthode prophétique… ». Puis il se tut. Et c’est cette vision qui marque encore et toujours la Jamaâ (al Adl), jusqu’à nouvel ordre.

Voilà ce que dit le théologien projectiviste Ahmed Raïssouni sur ce Hadith du Prophète : « Ce Hadith ne manque pas d’incertitudes sur son authenticité et ce qu’en disent, au mieux, les spécialistes de l’exégèse est que sa chaîne de transmission est correcte… A ce niveau de certitude, on ne peut construire de dogme, et à ce niveau de certitude aussi, on ne peut faire que du sermon et de l’idéalisme. Pour les grands principes et les fermes positions, il faut plus de preuves… plus de preuves et de qualité meilleure dans les chaînons de transmission ».

Les exégètes avancent un autre Hadith, au même niveau de certitude que le précédent, ou légèrement meilleur, relaté par Safina : « Le califat prophétique durera trente ans. Puis, Allah donnera la royauté (ou Sa...

royauté) à qui Il veut ». On notera que dans ce Hadith, Dieu n’a pas évoqué un second califat qui serait sur la base de la méthode prophétique.

On observera qu’aucun des deux Hadiths n’est impératif. Et donc, si quelqu’un estime qu’en appelant au califat, il respecte ainsi une obligation édictée par Dieu, alors qu’il nous dise exactement où figure un tel ordre divin, où et quand a-t-il été révélé, et à qui ?… A défaut, il s’expose à l’accusation d’agir en dehors de ce qui est ordonné.

En réalité, nous ne disposons d’aucune indication précise du califat dans les livres et écrits d’Abdeslam Yassine, en dépit de la centralité de ce concept dans ses opinions politiques. Mais le contexte dans lequel est employé le terme califat renvoie au modèle politique du Prophète puis, après lui, à celui de ses quatre successeurs, une période qui aura duré en tout et pour tout une trentaine d’années.

Ce qui se passe aujourd’hui est que certaines mouvements restent attachés au sens apparent du concept de califat, et demeurent rétives à toutes les évolutions qu’ont connues et que connaissent les sociétés modernes et contemporaines où l’individu n’est qu’une partie et/ou composante des systèmes de pouvoirs politiques.

Alors, comment est apparu et  quelles sont les caractéristiques de ce califat qui fait rêver certains islamistes ? Et quelles différences entre ce califat et les systèmes politiques modernes ? Les défenseurs et adeptes du concept de califat ne se donnent pas la peine de répondre à ces questions ni d’entrer dans les détails. Ils se contentent de relever les différences entre califat et régimes politiques contemporains.

Si Abdeslam Yassine a défini le califat par sa dimension géographique, en l’occurrence le dépassement, puis le remplacement des Etats nationaux par un Etat central et uni, le califat, sur la base du rapprochement religieux entre les différentes contrées, le facteur principal est toujours resté obscur. Et ce facteur est la définition des différences entre le califat et les systèmes politiques modernes, ce que n’a pas fait Yassine, pas plus qu’il n’a décrit ce que seraient le type de relations entre gouvernants et gouvernés, ou encore la nature de la consultation (choura), ou enfin le système d’allégeance !

Et donc, le fait de ne pas s’atteler aux détails liés au concept de califat le vide de toute substance et l’enrobe d’une charge affective et émotionnelle qui le réduit à un simple slogan politique destiné à attirer une jeunesse enthousiaste et à mobiliser sa sympathie pour cette notion « islamique », la détournant ainsi d’une confrontation avec la réalité, les complexités et autres difficultés des temps modernes…

Akhbar Alyoum

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