Maroc – Algérie, la guerre « tiède », par Aziz Boucetta

Maroc – Algérie, la guerre « tiède », par Aziz Boucetta

Il est comme cela le Maroc… Il a toujours respecté son dicton : « restons courtois dans l’inimitié et l’adversité ». Cela s’est appliqué avec l’Algérie depuis 15 ans au moins… Nos voisins, agressifs et vindicatifs, attaquent sans discontinuer depuis une quarantaine d’années, voire plus. Le Maroc a toujours répondu par le langage de la fraternité et du bon voisinage mais, depuis quelques temps, prenant confiance et perdant patience, il se montre plus dur et bien plus rugueux.

De la « guerre chaude » à la guerre froide

A l’origine de toute cette inimitié, la fameuse guerre des Sables de 1963. Les Algériens disent que le Maroc les avait humiliés. Le Maroc dit que les Algériens ne s’étaient pas montrés à la hauteur de leurs engagements pris durant leur guerre d’indépendance, en l’occurrence pour la restitution de territoires situés à la frontière. Le président du GPRA, Ferhat Abbas s’y était engagé quelques années plus tôt..

A l’indépendance, les Algériens reviennent sur l’accord, déposent le même Ferhat Abbas et bouclent leur frontière ouest. Les tensions montent dans plusieurs points frontaliers. L’Algérie mobilise et se mobilise, et les esprits se radicalisent. Les Marocains, indépendants depuis 5 ans et disposant d’une arme plus aguerrie que les guérilleros algériens, investissent le territoire algérien et surprennent la toute jeune armée algérienne, convaincue de sa force après sa victoire contre la France mais ignorante de ses faiblesses dans sa guerre contre le Maroc.

« Hagarouna, ikhwani ! »… lance alors Ahmed Ben Bella. « Ils nous ont méprisés, humiliés ». L’Algérie n’oubliera jamais cet affront qu’elle a pourtant été la première à provoquer. Fin de la guerre « chaude », et début de la guerre froide. Elle durera de 1962 à 2014…

La guerre froide

Pour les Algériens, depuis 1962, tous les moyens sont bons pour envenimer les relations. Selon un ancien ministre marocain des Affaires étrangères, et pour que le Maroc reconnaisse l’indépendance de la Mauritanie – ce qui devait créer des tensions entre Hassan II et l’Istiqlal – les Algériens avaient donné la promesse qu’ils reconsidéreraient la promesse de Ferhat Abbas de rétrocéder Tindouf au Maroc. Le Maroc avait reconnu la Mauritanie, mais l’Algérie avait ensuite campé sur ses positions.

Le 16 octobre 1975, quand Hassan II annonçait la Marche verte, Jean Daniel était avec Houari Boumediene et ils visionnaient tous les deux le discours à Alger. Voici le récit que le journaliste français en avait fait pour nos confrères de Médias24 : « Le visage de Boumediene s’est métamorphosé. Un mélange de sourire nerveux et de fureur crispait son visage. Un moment, le roi parle de l’Algérie sur un ton conciliant et amical. Le Président lui lance, en arabe, une injure et, à ma stupeur, il avance son bras droit et délivre un magistral bras d’honneur. Tel un voyou de Bab el Oued (…).Les insultes contre Hassan II pleuvaient. J’étais stupéfait. Jamais je n’avais vu un chef d’Etat dans cet état. Ce n’était qu’un torrent d’invectives à un niveau insoutenable de grossièreté, d’obscénité, de vulgarité. Sans transition, ont suivi les menaces. Hassan II ne l’emportera pas au paradis. Il ne sait pas ce qui l’attend. L’Algérie ne se fera pas rouler dans la farine (…). Je n’ai plus souvenir des termes exacts mais l’idée était bien celle d’une riposte qui fera regretter à l’agresseur ses rodomontades. L’Algérie ne se laissera pas marcher sur les pieds. Elle rétorquera de tous ses moyens et on verra ce qu’on verra». On a vu.

Et cela ne s’était...

pas fait attendre… Le 18 décembre 1975, avec l’accord d’Abdelaziz Bouteflika, Boumediene expulse 45.000 familles marocaines, dont une grande partie résidaient depuis plusieurs générations en Algérie et avaient combattu aux côtés du FLN contre la France. Un mois plus tard, un premier affrontement opposait les armées des deux pays, par Polisario interposé, à Amgala.

Depuis, l’Algérie n’a eu de cesse d’attaquer le Maroc dans tous les organismes internationaux, OUA (actuelle Union africaine) en premier. Le Maroc est présenté comme un « occupant » au Sahara… un parallèle est régulièrement fait avec l’occupation des Territoires palestiniens. Le Polisario est toujours placé en vedette par les Algériens en Afrique, en Europe, et partout où l’occasion se présente.

Les Marocains, pour leur part, se contentent (d’essayer) de rendre coup pour coup, mais restent dans une sorte de « courtoisie » diplomatique qui ne sert à rien, sauf à donner un sentiment de faiblesse aux yeux des voisins. Le Maroc encaisse sans réagir, sa diplomatie n’ayant jamais été ni assez agressive ni assez habile pour se défendre. Sous Hassan II, les discussions se faisaient en coulisses, entre personnalités qui se connaissent bien, mais ces pourparlers n’ont jamais été bien loin. Sous Mohammed VI, on bosse, sans regarder vers l’est…

L’ancien ministre des Affaires étrangères Saâdeddine Elotmani avait bien déclaré un jour que « le roi m’avait dit qu’il fallait savoir rester courtois avec les Algériens, même si l’essentiel n’est pas assuré ». Une déclaration qui avait irrité les dirigeants algériens, lesquels y avaient vu une marque de condescendance, ce qui est exact. Depuis, les relations se crispent, le Maroc gagne des points, l’Algérie perd des dollars, le ton monte, et les esprits s’échauffent…

De la guerre froide à la « guerre tiède »

Depuis quelques mois, donc, la guerre froide se « réchauffe »… escalade à l’armement de part et d’autre, attaques directes du roi au Maroc, et contre le roi en Algérie et, derniers épisodes en date, les Kabyles, puis le dernier discours de Mohammed VI.

Rabat a semble-t-il décidé désormais de non seulement rendre tous les coups, mais d’anticiper et de prendre l’offensive. Dans une Algérie en proie au doute sur la santé de son président, tiraillée par les luttes féroces qui se déroulent au sommet du pouvoir militaire et ébranlée par la contestation de ses 8 millions de Kabyles, le Maroc a brusquement décidé de prendre fait et cause pour cette partie de la population algérienne, réclamant… le droit à l’autodétermination du peuple kabyle ! Ce faisant, Rabat prend et surprend l’Algérie à son propre jeu, celui de la liberté des peuples qui le demandent, et on sait que les Kabyles la demandent.

Puis Mohammed VI va à Laâyoune, et y annonce un programme de 8 milliards de dollars, une manière de dire à l’Algérie « nous, on travaille et on investit au Sahara… suivez-nous, si vous le pouvez et si vous le voulez, en Kabylie… ».

Parallèlement à cela, on constate une course aux armements dans les deux pays, avec une armée algérienne qui s’énerve et qui s’est mise à tirer sur les Marocains aux abords de la frontière. Deux hommes ont ainsi été blessés, sur le territoire marocain, visés et touchés par des balles algériennes, tirées à partir de l’Algérie. Le Maroc ne riposte pas mais érige, puis renforce, une barrière physique, et donc morale, entre les deux pays.

A quoi tout cela aboutira-t-il ? Les prochains mois le diront. Sans excès de patriotisme, le Maroc maintient la porte ouverte, mais désormais la garde haute… sans excès d’optimisme, l’Algérie pourrait s’y engouffrer, tout en gardant la tête haute.

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