Aïd al-Adha, une coutume (prophétique) confirmée, par Sanaa Elaji

Aïd al-Adha, une coutume (prophétique) confirmée, par Sanaa Elaji

Le bêêêêêlement  du mouton nous parvient… en même temps que la question de l’aïd et des frais qui vont avec se pose autour de nous, encore. Le plus étrange est qu’ils sont très nombreux, les gens qui se plaignent de la charge pesante occasionnée par cette fête, tout en se pressant et s’empressant d’aller céder à la coutume.

A chaque fois que le sujet revient sur la table, nous entendrons les mêmes répliques : « Il s’agit d’une coutume confirmée (sounna mou’akkada), impossible donc à contourner ». Fort bien. Accordons-nous alors sur un principe : respecter des rituels ou reproduire des faits et gestes du prophète est une chose éminemment respectable. La pratique religieuse, dont l’immolation d’une bête fait partie, est un rite important aux yeux d’un très grand nombre de musulmans à travers le monde. Cela étant dit, débattons un peu des détails, raisonnablement et calmement…

Nous savons tous en effet que, toute hypocrisie mise à part, l’immolation d’un mouton – au Maroc du moins – est une pratique devenue bien plus sociale que religieuse. Beaucoup de familles subissent une pression financière énorme, voire effrayante, pour respecter ce rituel, et un grand nombre se laisse entraîner dans des discussions oiseuses sur le prix du mouton, son poids, sa qualité, sa dimension… Et cela est une contrainte supplémentaire que les familles se posent alors que rien dans la religion ne l’impose, bien au contraire. Nous avons tous entendu parler un jour ou l’autre des histoires de ces familles qui explosent, de ces scènes de ménages homériques qui éclatent ici et là, et même parfois de ces cas de vols et d’actes d’escroquerie perpétrés pour pouvoir faire face aux dépenses de la fête. Nous savons aussi que les sociétés de crédit à la consommation tirent profit de cette occasion pour proposer des prêts dédiés à l’acquisition de moutons ; quelle pratique religieuse est-ce donc d’aller s’endetter pour respecter une sounna ? Quelle logique est-ce aussi de se chamailler, de débattre voire de se battre au sein d’un couple pour cette même sounna ? Et quelle logique est-ce enfin d’accepter d’alourdir ses charges financières pour acheter le fameux mouton ?

Certains opposent un autre argument qu’ils veulent irréfutable, à savoir que les « pauvres » n’ont que cette occasion, ou presque, dans l’année pour manger, enfin, de la viande. Cette idée n’est en réalité qu’une posture fallacieuse qui ne reflète aucunement la réalité. Prenons l’exemple d’un mouton proposé à un prix moyen, disons 2.000 DH (sachant que par ailleurs, les gens s’acquittent d’un prix bien plus élevé), auxquels il faudra ajouter environ la moitié pour couvrir l’ensemble des frais annexes de l’aïd. Cela fait 3.000 DH environ, une somme qui dépasse le Smig ainsi que les...

salaires mensuels d’un grand nombre de familles qui achètent leur ovin moyennant une somme supérieure au revenu de leur ménage. Ces 3.000 DH peuvent pourtant être utilisés pour améliorer le quotidien de ces familles tout au long de l’année, sans n’avoir besoin d’aller s’endetter quand l’aïd point à l’horizon.

Et n’oublions pas non plus que si nous ne sacrifions pas près de 5 millions de bêtes à cette occasion, le prix de la viande ovine ne coûterait pas aussi cher durant l’année… question d’offre et de demande. Pour preuve, réfléchissons à cette donnée : au Maroc, on abat 17 millions d’ovins en un an, dont 4,5 en une seule journée, soit 26%. En conséquence, lier le rituel de sacrifice de l’aïd à la nécessaire consommation de viande par les catégories défavorisées est un argument irrecevable, car ce sont ces mêmes personnes qui devront supporter les affres de l’envolée des prix pendant cette période festive et rituélique…

Usons alors d’un langage symbolique pour faire comprendre aux gens des faits qu’ils savent pourtant fort bien : 1/ L’immolation d’une bête pendant la fête n’est ni une contrainte religieuse ni un pilier de l’islam, mais une sounna certes confirmée qui vient nécessairement et se place hiérarchiquement après les nombreuses  obligations de la religion. 2/ Appliquer cette sounna ne signifie nullement que l’on doive verser dans l’endettement et la compétition entre voisins quant à celui qui dispose de la plus belle bête, pas plus que cela ne doit aller dans le sens de la consommation irraisonnée de tant de viande en si peu de temps.

Aujourd’hui, au Maroc, nous avons un chef du gouvernement dont le positionnement lui confère une légitimité politique, sociale et religieuse à même d’adopter un discours de conscience et de prise de conscience de la société, qui en a bien besoin. Et pourquoi pas le roi Mohammed VI lui-même, à travers l’institution de la commanderie des croyants… Il ne fait aucun doute que la symbolique et la portée religieuses de cette institution, en plus de la forte proximité qui lie le roi aux Marocains, peuvent se révéler d’une grande efficacité pour faire passer ce discours dans les esprits des uns et des autres. Il ne s’agit pas d’interdire, mais d’expliquer ; il ne s’agit pas de contraindre, mais de convaincre… Mohammed VI est passé maître en la matière dans ses derniers discours, et il  s’est montré tellement persuasif qu’on pourrait attendre, peut-être, de lui une telle attitude dans le proche avenir. Ne  contribuera-t-il pas ainsi à alléger la contrainte économique, la pression sociale et le poids religieux pesant sur un grand nombre de personne qui prennent appui sur la religion pour s’acquitter d’une tradition pourtant sociale ?

Dans l’intervalle, bonne fête à tous…

Al Ahdath al Maghribiya

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