Les messages, constats et solutions de Mohammed VI dans son discours du trône

Les messages, constats et solutions de Mohammed VI dans son discours du trône

Jeudi 30 juillet est jour de fête du trône, et aussi du 16ème anniversaire de l’intronisation de Mohammed VI. Le roi a délivré à son habitude un discours revenant sur les acquis et réalisations de l’année écoulée et également une feuille de route sur l’année à venir. A l’aube d’une année électorale, on remarquera que le roi n’a pas fait d’allusion au processus en cours, mais a veillé à brosser les contours de ce que doit être la politique du pays. Cinq grands thèmes peuvent être dégagés de ce discours. Présentation des constats établis et des solutions préconisées.

Les conditions de vie des Marocains

Constat. Mohammed VI est conscient que si des efforts ont été consentis, beaucoup reste à faire car, dit-il, « tout ce que vous vivez m’intéresse : ce qui vous atteint m’affecte aussi, ce qui vous apporte bonheur me réjouit également. Ce qui vous tracasse figure toujours en tête de mes préoccupations (…). La croissance économique n’aura aucun sens si elle ne se traduit pas par l’amélioration des conditions de vie des citoyens ».

Il faut donc trouver « des solutions nouvelles, aptes à permettre à cette catégorie sociale (marginalisée et vivant dans des conditions pénibles) de se mettre au diapason et de s’intégrer dans la vie nationale ». Où se trouve cette catégorie sociale ? Dans « les régions éloignées et enclavées, surtout sur les sommets de l’Atlas et du Rif, les zones sahariennes arides et les oasis, ainsi que certains villages dans les plaines et sur les côtes (…) et les zones marginales et des quartiers anarchiques en périphérie urbaine ».

Solutions. Pour les régions non urbaines, le roi a chargé le ministre de l’Intérieur, autorité tutélaire des collectivités territoriales, «  de mener une étude de terrain globale, pour cerner les besoins de chaque Douar et de chaque région, en termes d’infrastructures et de services sociaux de base, tant dans les domaines de l’enseignement et de la santé, qu’en ce qui concerne l’eau, l’électricité, les routes rurales, etc. Cette étude a porté sur toutes les régions du royaume. Elle a permis d’identifier plus de 29.000 douars, dans 1.272 communes, souffrant d’un tel déficit. Les régions et les domaines concernés ont été répertoriés par ordre de priorité. De même qu’ont été examinés environ 20.800 projets, dédiés à plus de 12 millions de citoyens, vivant dans plus de 24.000 douars, avec un budget global de 50 milliards de DH environ ».

Une fois cela fait, il faudra « trouver les moyens de financement des projets et de définir un échéancier précis pour leur mise en œuvre ». L’Initiative nationale pour le Développement Humain nouvelle version devra être mise à contribution, de même que les conseils régionaux et locaux qui « disposent désormais de ressources importantes et de larges compétences ». L’allusion est claire et explicite : il appartient aux partis de présenter des candidats aptes à relever le défi. La tâche est importante, ambitieuse, mais on doute de la capacité des différentes formations d’aligner les compétences voulues…

Cela étant, les gains de la compensation se chiffrant à environ 80 milliards de DH sur les trois dernières années, l’argent peut être trouvé.

Pour les régions urbaines marginalisées, Mohammed VI a fait  concentrer « les projets de l’INDH sur la lutte contre les déficits qui y ont été relevés. Nous avons également engagé le gouvernement à accorder plus d’importance aux politiques sociales ». Il faudrait pour cela qu’opposition et majorité taisent leurs rancœurs personnelles et leurs antagonismes « idéologiques » pour s’atteler au travail. L’invitation du roi est claire, le personnel politique gagnerait à être moins velléitaire, plus volontaire et moins sectaire…

Les Marocains du Monde

Constat. Mohammed VI est à l’écoute des heurts et malheurs de ses compatriotes expatriés dans les consulats. Nous avons pris l’habitude ces derniers temps de voir le roi prendre la pose avec plusieurs Marocains vivant hors du Maroc, en Europe, dans le Golfe, en Afrique subsaharienne… mais derrière, il y a semble-t-il des discussions entre le roi et les gens, et surtout des informations fournies par ces derniers. Le ministre des Affaires étrangères Salaheddine Mezouar aura du travail sur la planche, après cette remarque de Mohammed VI : « Au cours de mes visites à l’étranger et de mes rencontres au Royaume avec des membres de notre communauté à l’étranger, j’ai eu l’occasion de prendre la mesure de leurs préoccupations réelles et de leurs aspirations légitimes. Nous pensions qu’ils affrontaient des difficultés uniquement à l’intérieur du Maroc. Or nombre d’entre eux se plaignent également d’une série de problèmes dans leurs relations avec les missions consulaires marocaines à l’étranger. En effet, certains consuls, et non tous – Dieu merci – au lieu de remplir leur mission comme il se doit, se préoccupent plutôt de leurs affaires personnelles ou de politique. Certains membres de la communauté m’ont fait part de leur mécontentement du mauvais traitement qui leur est réservé par certains consulats, ainsi que de la faiblesse des prestations qu’ils leur fournissent, tant pour ce qui concerne la qualité de ces services, que pour ce qui est du respect des délais ou de certaines entraves administratives ».

Solutions. Gentiment, le roi «  attire l’attention du ministre des Affaires étrangères » (qui aura compris le message) sur ce qu’il lui reste à faire… « La nécessité de s’employer avec toute la fermeté requise à mettre fin aux dysfonctionnements et autres problèmes que connaissent certains consulats. Il faut, d’une part, relever de ses fonctions quiconque a été reconnu coupable de négligence, de dédain pour les intérêts des membres de la communauté, ou de mauvais traitement à leur égard. D’autre part, il faut veiller à choisir les consuls parmi ceux qui remplissent les conditions requises de compétence, de responsabilité et de dévouement au service de nos enfants à l’étranger(…). S’ils n’arrivent pas à régler leurs affaires, au moins devraient-ils (les MRE) être bien accueillis et traités avec courtoisie et respect ». Mezouar doit être certainement déjà à la recherche, fébrile, de profils.

Un autre problème  a été évoqué par le roi, à savoir celui de l’état-civil et du calvaire enduré par certains parents pour attribuer un prénom à leur nouveau-né. « S’agissant du choix des noms également, il appartient à la Haute commission de l’état civil de s’atteler à trouver des solutions raisonnables aux cas qui lui sont soumis, en faisant preuve de souplesse et de compréhension. De même, il faut mette un terme aux pressions qu’ils subissent parfois pour se voir imposer certains noms ».  La situation est pénible pour ces parents qui se voient refuser un prénom,  comme Adam ou Sonia, alors que, en contact avec d’autres cultures, ils peuvent choisir un prénom non prévu dans les « listes » des consulats. Pourquoi laisser prospérer ces listes, et pourquoi ne pas ouvrir la voie à des procédures judiciaires en référé contre les consulats rétifs, souvent vindicatifs ?

Mais il n’y a pas que cela, car les MRE, une fois de retour dans leur pays, rencontrent bien souvent plusieurs problèmes. Pour cela, Mohammed VI a précisé que « s’agissant des problèmes que rencontrent certains immigrés à leur retour dans la patrie, nous réaffirmons la nécessité de faire montre de la plus grande fermeté à l’égard de quiconque s’avise d’abuser de leurs intérêts ou d’exploiter leur situation ». L’année passée, l’intouchable et puissante CDG à travers sa filiale CGI a connu un séisme en raison de plaintes de MRE contre les dysfonctionnements, parfois même les indélicatesses, de leurs collaborateurs à l’égard des investisseurs marocains, d’ici et (surtout) d’ailleurs.

L’enseignement

Constat. Il est établi à travers deux interrogations : « Est-ce que l’enseignement que reçoivent nos enfants aujourd’hui dans les écoles publiques est capable de garantir leur avenir ? Pourquoi (les Marocains) sont-ils si nombreux à inscrire leurs enfants dans les établissements des missions étrangères et...

les écoles privées, malgré leurs coûts exorbitants ? ». En effet, c’est bien le moins que l’on puisse dire alors même que l’éducation des générations futures est une tâche qui incombe à l’Etat, gratuitement ou presque…

Réponse aux questions : « Parce qu’ils cherchent un enseignement ouvert et de qualité, fondé sur l’esprit critique et l’apprentissage des langues, un enseignement qui permette à leurs enfants d’accéder au marché du travail et de s’insérer dans la vie active ». Ce que le service public s’est révélé incapable d’assurer, et cela dure depuis des décennies.

Solutions. Mohammed VI donne un sérieux coup de pouce à Omar Azziman, président du Conseil supérieur de l’enseignement, de la formation et de la recherche scientifique (ou CSEFRS) qui semble avoir quelque difficulté à mettre en accord la centaine de membres de son Conseil. La composition dudit conseil a brassé large, faisant appel à toutes les composantes de la société, selon leurs différentes opinions et orientations, mais voilà, les membres ont été incapables de trouver un terrain d’entente, essentiellement sur la question de la langue, au grand désarroi du président. Alors le roi s’en est mêlé : « Contrairement à ce que prétendent certains, l’ouverture sur les langues et les autres cultures, ne portera aucunement atteinte à l’identité nationale. Bien au contraire, elle contribuera à l’enrichir (…). Aussi, la réforme de l’enseignement doit se départir de tout égoïsme et de tous calculs politiques qui hypothèquent l’avenir des générations montantes, sous prétexte de protéger l’identité ». On peut parier que désormais, le travail du CSEFRS ira plus vite, bien plus vite… Et pour être encore plus claire et explicite, Mohammed VI ajoute que « la réforme de l’enseignement doit viser au premier chef à permettre à l’apprenant d’acquérir les connaissances et les habiletés et de maîtriser les langues nationales et étrangères, notamment dans les filières scientifiques et techniques qui ouvrent les portes de l’insertion sociale ».

Par ailleurs, le roi est revenu sur la question du baccalauréat. En effet, avec un taux de réussite d’environ 50% au bac, bien nombreux sont les candidats paniqués face à leur échec à cet examen suite auquel, à leurs yeux,  c’est leur avenir qui est en péril. « La réforme souhaitée ne pourra être cohérente que si l’on s’affranchit du complexe qui fait penser que le baccalauréat est une question de vie ou de mort pour l’élève et sa famille (…). Nous devons, donc, aller vers eux pour changer cette opinion négative et leur expliquer que l’individu peut s’élever et réussir sa vie sans l’obtention  du baccalauréat ». D’où la Formation professionnelle qui devrait être reconsidérée pour ce qu’elle est, une formation permettant un emploi qualifié et prometteur.

Mais tout cela ne saurait se faire sans l’élaboration d’une réforme du système éducatif fondé sur une vision à long terme, stable, qui ne sera pas galvaudée, secouée, modifiée et donc bousculée par les changements quinquennaux – dans le meilleur des cas – des gouvernements. Voici la solution préconisée par le roi, qui aura donc tranché, sur la durée : « Nous appelons à l’élaboration de cette réforme dans le cadre d’un contrat national contraignant, et ce, à travers l’adoption d’une loi-cadre cernant la vision à long terme et mettant fin à l’interminable cercle vicieux de la réforme de la réforme ».

La diplomatie

Elle revêt plusieurs facettes avec le Sahara bien évidemment en premier. Mais Mohammed VI a également dressé une priorité des relations internationales vues de Rabat.

1/ Le Sahara

Constat. « Le Maroc, en tant que partenaire responsable et fidèle à ses engagements internationaux, ne ménagera aucun effort pour défendre ses intérêts supérieurs. Il ne permettra jamais qu’on empiète sur sa souveraineté, son intégrité territoriale et son projet de société. Tout comme il ne tolérera aucune atteinte à ses institutions ou à la dignité de ses citoyens. Concernant la question de notre intégrité territoriale, nous avons défini, dans notre Discours de la Marche verte, de façon claire et franche, les principes et les référentiels devant servir de base pour traiter l’affaire du Sahara Marocain aux niveaux interne et international. Les développements advenus dans l’affaire du Sahara ont démontré la justesse de notre position au niveau onusien et la sincérité de nos orientations au niveau national ».

Solution. Elle passera par « la mise en œuvre de la régionalisation avancée et du modèle de développement des provinces du Sud du Royaume ». Mais cela passera par le fait que « chacun doit rester vigilant et mobilisé pour contrecarrer les manœuvres des adversaires et s’opposer à toute déviation susceptible de se produire dans le  processus de règlement onusien ».

2/ L’ordre des relations internationales

Constat. Mohammed VI a loué les engagements du Maroc « dans les coalitions arabes de lutte contre le terrorisme et pour le rétablissement de la légitimité au Yémen », mais a aussi placé au centre de la paix la situation au Moyen-Orient,  affirmant en sa qualité de président du Comité Al-Qods les droits légitimes des Palestiniens  à établir leur Etat indépendant sur les frontières de 1967, avec pour capitale Jérusalem-Est.

Solution. Une fois cela posé, Mohammed VI a établi un ordre de priorité plutôt inédit des liens diplomatiques à nouer avec le reste du monde… Voici l’ordre retenu par le roi dans la description de cet ordre : « le partenariat exceptionnel avec la France », « les liens d’amitié avec Sa Majesté le Roi Felipe VI pour renforcer davantage les relations de coopération et de bon voisinage avec l’Espagne », une « coopération fructueuse avec les pays européens », le « partenariat stratégique avec l’Europe, équilibré et équitable transcendant les intérêts conjoncturels étriqués », le « partenariat stratégique avec les Etats Unis, qui repose sur les valeurs et les principes », un « approfondissement et enrichissement du partenariat avec la Russie et la Chine », et, plus globalement, «  de plus larges perspectives devant les relations de coopération avec les pays d’Amérique latine et les pays asiatiques ».

La religion

Là, le roi ne fait pas de constat, mais tient à placer cette partie après les remerciements d’usage aux forces de l’ordre à travers toutes leurs composantes. Cela confère à ce qui suit plus de poids, vraisemblablement en réponse aux événements un peu particuliers qui ont secoué le pays ces derniers mois (Avortement, intolérance vestimentaire, exacerbation des esprits pour des créations artistiques…) : « Y a-t-il une raison pour que nous renoncions à nos traditions et à nos valeurs civilisationnelles marquées du sceau de la tolérance et de la  modération, et que nous embrassions des doctrines étrangères à notre éducation et à notre morale ?  Evidemment non. Donc, ne permets à personne venu d’ailleurs de te donner des leçons sur ta religion et n’accepte l’incitation de personne à suivre un rite ou une doctrine originaire de l’Est ou de l’Ouest, du Nord ou du Sud, et ce, indépendamment de mon respect pour toutes les religions célestes et les doctrines qui s’y rattachent ».

 

Un discours mesuré, donc, apportant des solutions aux problèmes qui se sont posés l’année écoulée et qui ne manqueront pas de revenir dans les mois prochains, en pleine bataille électorale communale, régionale, puis surtout législative. On aura compris qu’il reste bien des efforts à consentir pour assurer la prospérité aux populations, mais que cette prospérité passe par une convergence d’efforts et surtout une coordination dans l’action.

Il reste à la classe politique de comprendre les enjeux et de mettre en avant les compétences humaines et non seulement les profils glapissants. De même qu’il appartient à la société civile de ne pas envenimer les choses en adoptant des attitudes exclusives des autres et en oubliant que tout passe par le dialogue et l’écoute des autres. Malheureusement, ce qui s’est passé ces derniers mois ne prête pas à optimisme. Le discours du trône pourrait servir, au moins, à calmer les esprits, en attendant les cœurs…

Aziz Boucetta

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