Procès d’Agadir : Entretien avec Fettah Bennani, président de Bayt al-Hikma
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- 07 juillet 2015 --
- Maroc
On le sait, le procès des deux jeunes filles interpelées au souk d’Inezgane, placées en garde à vue et poursuivies pour « outrage public à la pudeur » s’est tenu hier. La salle était comble, les militants étaient en nombre, la tension était palpable, car une page de l’histoire sociale et morale du Maroc se jouait dans ce tribunal. L’affaire est en délibéré et la cour rendra son verdict lundi 13 juillet.
Les deux jeunes filles, sous le choc d’une injuste cabale et d’une notoriété soudaine et ô combien non désirée, ont été soutenues par l’association Bayt al-Hikma qui, avec ses militants, avec ses femmes et ses hommes, avec ses responsables et ses partenaires qui sont d’autres associations de la société civile, était à leurs côtés. Son président Fettah Bennani a répondu à nos questions.
Q – Comment se sont déroulées les dernières heures avant le procès ?
Très difficiles. Une véritable veillée d'armes, ce dimanche soir, veille du procès. Nous avons partagé le ftour avec les avocats de la défense et les deux jeunes filles.
Ensuite, les avocates et avocats se sont réunis pour définir leur ligne de défense.
Dans le même temps, Aziza Chagaf, vice-présidente du Mouvement vigilance citoyenne, ne quittait pas les jeunes filles et était aux petits soins avec elles avec beaucoup de discrétion et d'efficacité, dans un lieu où elles se trouvent encore aujourd'hui.
Q – Et après, comment étaient les deux jeunes femmes ?
Vous vous doutez bien que l'excitation était maximale. Beaucoup d'organes de presse demandaient des interviews.
Lundi, les deux jeunes filles se sont rendues au tribunal, "stoïques mais le coeur gros", bien encadrées par Aziza Chagaf, Khadija Rouissi, Fouzia Assouli et l'avocat Me Sbaï.
A notre arrivée, une foule immense (2000 peut-être) ainsi que plusieurs organes de presse (télés, radios et autres médias) attendaient devant le tribunal.
Q – Combien d'avocats, et d'où venaient-ils ?
Ils étaient une centaine à se bousculer dans la salle d'audience surchauffée et à l'atmosphère irrespirable.
Chaque avocat présent a produit une liste de confrères qui se sont joints à la défense. Nous avons appris au cours de la séance que les bâtonniers d'Agadir et des Provinces du sud ont inscrit la totalité de leurs 700 membres.
Toutes les régions étaient représentées. Certains avocats sont même venus de l'extrême nord du pays en voiture (Tétouan, al Hoceima).
Q – Que voudriez-vous dire au procureur, suite à son réquisitoire mesuré ?
Je lui dirais bravo d'assumer les fautes de ses collaborateurs, et qui plus...
est publiquement.
Ce n'est pas facile avec un ministre conservateur et dont les déclarations ne sont pas rassurantes ni conformes aux droits humains tels qu’universellement reconnus.
Je voudrais cependant préciser que la police judiciaire agit sur instructions du procureur ou de son substitut, et de ce fait, elle n'a strictement rien à se reprocher sur les dysfonctionnements qui ont eu lieu.
La Sûreté nationale a eu de plus le courage de geler les activités d'un supposé responsable.
Q – Quelle serait votre réaction, et celles des avocats et des principales concernées, s'il y a condamnation avec sursis ou annulation du procès, mais pour vice de forme ?
Personne n'imagine un jugement autre que le non lieu. Nous faisons confiance à la justice, et donc pour tout autre jugement nous ferons appel et sonnerons la mobilisation de la société civile et des avocats.
Dans tous les cas, nos réactions seront sereines et civilisées.
Q – Comment devrait, selon vous, réagir le chef du parquet, Mustapha Ramid, d'un point de vue réglementaire, avec ses procureurs, suite à ces affaires d'Inezgane et de Fès ?
Il a déjà eu une réaction qui me semble négative : celle d'adresser au substitut "une demande d'explication" au lieu de le suspendre et le présenter devant le conseil de discipline.
Comment voulez vous que Ramid, qui est l’auteur de déclarations incendiaires, ait une autre réaction contre un substitut qui réagit comme lui ?
Ses propos devant Mohamed Sebbar , secrétaire général du CNDH dans ce que la presse à appelé « crimes d'honneur » et celle des appels au lynchage contre les « dé-jeûneurs » ont choqué les Marocains.
Q – Je sais que la mobilisation doit se poursuivre, au-delà de ces affaires, mais quelles seraient les mesures d'accompagnement que vous préconiseriez (actions de sensibilisation en provinces, programmes télés, cours d'éducation civique, contacts avec les milieux conservateurs...) ?
La mobilisation doit se poursuivre, et d'abord engager toute action à même de réhabiliter ces jeunes filles.
Il y a également « l'appel pour la défense des libertés » que Bayt Al Hikma a eu l'honneur de lancer et qui est déjà un succès et dont nous allons continuer la promotion.
Il y a une grosse mobilisation à avoir concernant le projet de loi pénale : Il est du devoir du gouvernement de retirer de ce projet l'ensemble des articles qui représentent une atteinte grave à la liberté et à la dignité humaine.
La presse à un rôle important à jouer, sans doute le rôle LE plus important.
Et les associations engagées vont continuer la promotion des droits de l'homme et des libertés individuelles.
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