La société marocaine est aujourd’hui secouée par plusieurs affaires qui se suivent et se ressemblent dans le fonds. Les uns et les autres s’activent, et souvent s’invectivent. Mais le roi n’est jamais loin, intervenant de la manière que lui confère la constitution, c’est-à-dire en arbitre. Et quand on sait qu’au niveau du palais royal, rien n’est laissé au hasard et que les actes et gestes sont soigneusement calibrés, on peut prendre la mesure de deux faits récents quant à leur signification.

Le prêche de la mosquée

Vendredi dernier, le roi a accompli sa prière à la mosquée Assafa de Casablanca. L’imam a délivré son prêche, partant de la bataille de Badr, avec le rappel, de certains propos du Prophète.

La dépêche de la MAP rapporte l’activité royale par cette phrase : « la grande bataille de Badr "Rhazwat Bard Al Kobra" qui fut une rupture entre le droit et le non droit, une bataille aux profondes significations dont les musulmans doivent s'inspirer de nos jours afin d'en perpétuer les valeurs ». Quelles sont ces valeurs ?

La première est « l'impératif pour le musulman de ne pas se fier aux fausses nouvelles et à la rumeur comme indiqué dans le verset du Saint Coran: "O vous qui croyez ! Si un homme pervers vous apporte une nouvelle, vérifiez-en la teneur, de crainte de faire du tort à des innocents, par ignorance, et d'en éprouver ensuite des remords ». On peut rapporter cela aux deux femmes d’Inezgane, vilipendées par la foule, agressées et insultées pour leur port de jupe et accusées d’être des filles de mauvaise vertu, et la foule s’en était prise à elles, suite à cette « nouvelle », sans en « vérifier la teneur », « causant du tort à des innocentes »…

La seconde valeur est « la nécessité pour les musulmans d'obéir et de se soumettre aux ordres de la direction, une soumission qui est porteuse de bien pour l'ensemble de la communauté ». Si on remplace le terme « direction » par « loi et justice », on comprend de ce message que les gens ne doivent pas se faire eux-mêmes justice  mais doivent en référer aux autorités établies, à savoir la police et la justice, comme l’a rappelé aussi bien le chef du gouvernement que ses ministres de l’Intérieur et de la Justice suite au lynchage dont a été victime la semaine dernière l’homosexuel de Fès.

Le troisième message suggéré par l’imam de la mosquée Assafa devant le roi est « l'impératif pour les musulmans d'unifier leurs rangs »,...

un rappel utile en cette phase particulière où la société marocaine se trouve quasiment scindée entre deux camps exclusifs l’un de l’autre, qui ne se parlent pas et ne s’écoutent pas, qui s’insultent, se rejettent et s’invectivent.

Une telle pratique du prêche du vendredi servant à distiller un message n’est pas une première… En avril 2013, un avis du Conseil Supérieur des Oulémas autorisait « la peine de mort contre le musulman qui renonce à sa religion », suscitant une controverse au sein de la société. Le vendredi suivant, à Safi, le roi Mohammed VI accomplissait sa prière à la mosquée et l’imam avait fait un long prêche sur les libertés individuelles et collectives garanties par l'islam, citant le verset de la sourate 256 al Baqara : « Nulle contrainte en religion ». L’avis du Conseil des Oulémas avait ainsi recadré…

La photo

C’est en passe de devenir une tradition, que des Marocains de l’étranger prennent la pose avec le roi du Maroc, et cette tradition commence à concerner également, depuis peu, les Marocains du Maroc. Le roi, quand il n’est pas en activité officielle, se promène dans les rues et les avenues des villes, en tenue décontractée et avec une sécurité allégée, hors protocole.

A Casablanca, il a posé avec plusieurs personnes croisées au gré du hasard. Une de ces photos montrent un Mohammed VI souriant, portant un t-shirt, en compagnie de cinq ravissantes jeunes filles en jeans moulants et t-shirts elles aussi. Cette photo fait suite à une autre, où l’on voit le roi en voiture et en compagnie de son épouse Lalla Salma, puis à une autre, avec un homme en pantacourt et tongs accompagné de ses enfants…

L’image de Mohammed VI avec les 5 jeunes filles a été mise en ligne sur la fameuse page de Soufiane Elbahri samedi dernier 4 juillet, deux jours avant l’ouverture du procès des deux femmes « accusées » d’être vêtues de manière provocante. Elle a reçu 130.000 likes et a fait l’objet de plus de 3.000 partages en 24 heures.

Il est peu probable que si une mise vestimentaire (jeans serré, ballerine…) est vraiment « provocante », le roi se laisse prendre en photo et laisse publier cette photo sur un réseau social. 

Le prêche, donc, et la photo renvoient l’image d’un pays moderne où le roi, commandeur des croyants, marque par sa présence officielle ou personnelle la tolérance et l’ouverture que devraient montrer bien des personnes.

Aziz Boucetta