« Much Loved » de Nabil Ayouch, une mise à nu qui provoque la haine au Maroc, par Ruth Grosrichard

« Much Loved » de Nabil Ayouch, une mise à nu qui provoque la haine au Maroc, par Ruth Grosrichard

Contrairement à son titre, Much Loved, le dernier film du cinéaste marocain Nabil Ayouch présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, suscite, au Maroc, un véritable déchaînement de haine. La raison tient au sujet mis en scène : quatre prostituées filmées avec un réalisme cru, dans des hôtels, clubs et appartements dédiés au commerce de la chair.

Tout se passe à Marrakech, de la nuit à l’aube, sous un ciel bas et lourd qui accentue le sordide de certains lieux et situations. Un Marrackech sans le soleil éclatant et les clichés enchanteurs qui présentent cette ville comme un paradis exotique. Un enfer plutôt, peuplé de filles qui n’existent que pour la jouissance tarifée du client. Elles ont des aventures mais elles n’ont pas d’histoire puisque leur seul avenir est celui de la nuit suivante qui ne fait que répéter la précédente. Pour elles, aucune figure de « père » respectable, à la loi duquel se fier ; seuls des hommes libidineux, que ce soit de riches Saoudiens, des Occidentaux ou encore, faute de mieux, des Marocains moins fortunés. A cela, vient s’ajouter une chaîne d’individus : mère maquerelle, chauffeur de taxi, flic, garçon de café, videur de boîte de nuit, « amant de cœur », parents : bref, tout un système où chacun trouve son compte.

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Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire »

Nabil Ayouch n’a pas fait un film sur le Maroc et encore moins sur un Maroc de carte postale : « J’avais envie de dire cette réalité, loin des mythes. Dire c’est montrer. Tout. Sans retenue, sans concession ni fausse pudeur. Lever le voile sur cette industrie, c’est mettre chacun face à ses responsabilités… »

Après les enfants des rues dans Ali Zoua, les bidonvilles comme fabrique de djihadistes dans Les Chevaux de Dieu, il s’est attaché dans Much Loved à représenter une autre forme de marginalité : la prostitution. Si celle-ci n’a rien d’une spécificité marocaine, le Maroc n’y échappe pas, loin de là.

Il y a quelques années, la presse marocaine - dont le magazine Tel Quel - avait osé aborder la question. Mais à l’écran, voilà que la réalité crève les yeux. On peut comprendre alors que ce long-métrage, qui pointe un tabou de taille, provoque une sorte de blessure narcissique collective. Il blesse en ce qu’il donne à voir. Il est insupportable au regard d’un conformisme social dominant, qui fait sienne la devise des trois petits singes : « Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire ».

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