Pourquoi Mohammed VI a refusé  de parler au téléphone avec le président nigérian

Pourquoi Mohammed VI a refusé  de parler au téléphone avec le président nigérian

Le président nigérian Goodluck Jonathan a cru avoir l’idée de sa vie, il a eu le camouflet de l’année. Il a en effet demandé à avoir un entretien téléphonique avec le roi Mohammed VI, mais ce dernier a sèchement refusé. Explications et contexte.

Les faits.

C’est le ministère marocain des Affaires étrangères qui rapporte l’info, via le communiqué suivant : « Les autorités nigérianes, à travers la Présidence de la République, ont introduit une demande pour un entretien téléphonique entre le Président de ce pays et Sa Majesté le Roi -Que Dieu L’assiste-  et l’envoi d’un émissaire au Maroc. Sa Majesté le Roi n’a pas jugé opportun d’accéder à cette demande du fait que la démarche est liée à des échéances électorales importantes dans ce pays et pourraient faire croire à un rapprochement entre le Maroc et le Nigéria et en raison des positions de ce pays à l’égard de causes nationales et arabo-musulmanes sacrées. La demande des autorités nigérianes s’apparente plus à un acte de récupération de l’électorat musulman de ce pays qu’à une démarche diplomatique normale ».

En clair, le roi ne souhaite pas apporter son soutien à la problématique campagne électorale de Goodluck Jonathan, en difficulté et tentant de s’allier le vote musulman dans ce pays de 174 millions d’habitants, dont la moitié sont des musulmans. Ceux-ci occupent le nord du pays et sont en butte aux massacres de la secte des fous furieux de Boko Haram, que le président Jonathan est accusé de laisser faire pour créer le chaos dans cette zone qui lui est hostile.

Qui est Goodluck Jonathan ?

L’homme, qui affiche une allure d’amuseur public, avec un chapeau éternellement vissé sur le chef, porte décidément bien son prénom. Diplômé en hydrobiologie et en biologie de la pêche, ce qui ne le prédestinait pas nécessairement à une carrière politique nationale, Il a été élu en 1999 et par hasard vice-gouverneur d’un Etat pétrolier du sud de la république fédérale, puis a accédé au poste de gouverneur suite à la destitution du titulaire du poste.

Il a ensuite été élu en 2007 vice-président du Nigéria, choisi par le candidat à la présidence pour son peu d’intérêt pour la politique. Le président meurt fort opportunément en 2010, après une longue maladie, et voilà notre chanceux Goodluck qui hérite d’une présidence qui s’est gracieusement offerte à lui. Dame chance lui sourit encore et toujours.

Pourquoi une campagne électorale difficile ?

Arrivé au sommet de l’Etat suite à cette incroyable série de coups de chance, Jonathan ne plaît pas à tout le monde. Il avait en outre essayé de faire de la grande politique en détournant (im)pudiquement les yeux sur les exactions de Boko Haram (boko pour book, le Nigéria étant ancienne colonie britannique, et haram pour haram, la secte est opposée à toute forme d’éducation...

moderne).

Cela le met le président en porte-à-faux par rapport à sa population musulmane, qui vote aujourd’hui. L’élection présidentielle a été reportée de six mois pour permettre au sortant de mieux se préparer à ne pas sortir. Mais il ne peut plus espérer gagner du temps et, pour gagner son élection, il fait feu de tout bois, pendant que ses opposants font feu sur tout ce qui bouge. Aujourd’hui, encore, des hommes ont ouvert le feu sur le bus transportant des joueurs de l’équipe de football championne en titre…

Les relations du Nigéria  avec le Maroc.

Elles sont exécrables, le Nigéria, étant avec l’Afrique du Sud et bien entendu l’Algérie, le pays africain qui soutient le plus et le mieux le Polisario, dont on connaît les problèmes au Maroc et avec le Maroc. Ça ne sert pas vraiment les relations d’amitié entre Abuja et Rabat, intraitable dès lors qu’il s’agit de reconnaissance de ladite république arabe sahraouie, bien évidemment démocratique…

Les musulmans nigérians et le Maroc.

Fin mai 2014, les musulmans nigérians, éreintés par les violences des excités de Boko Haram, adressent une demande à Mohammed VI, à travers Cheikh Charif Ibrahim Saleh Hosseini, président de l’Instance de l’Iftaa et du Conseil islamique nigérian au nom des oulémas et des instances qu’il préside au Nigéria. Le roi donne son feu vert, ce qui est un (très) sérieux camouflet fait au président et à ses partisans.

En effet, que la moitié musulmane de la population, et ses représentants religieux, sollicitent un coup de main du roi Mohammed VI, dont le pouvoir religieux est reconnu en Afrique de l’Ouest, est une grave offense au gouvernement central nigérian et un très joli coup diplomatique pour Rabat.

Mohammed VI enfonce le clou.

Et voilà que Jonathan, Goodluck donc, vient se fracasser sur le front musulman de son pays en demandant une intervention du roi Mohammed VI, dont l’autorité spirituelle est désormais établie dans la partie nord du Nigéria. Il a sollicité, dans une manœuvre manifestement électoraliste, l’appui moral de Mohammed VI, qui a sèchement refusé, ne publiant même pas un communiqué sur la question, laissant son ministère répondre à sa place. « Je dis non, et je ne daigne même pas le faire savoir, déléguant la chose à mon ministre », semble dire Mohammed VI. Traduction : musulmans nigérians, votez pour qui vous voulez, moi je ne suis pas concerné par les affaires intérieures nigérianes.

Cela étant, la question est de savoir s’il aurait été possible pour le Maroc de négocier un retrait de la reconnaissance nigériane du Polisario, en échange de son soutien à la très problématique campagne de Jonathan… Peut-être que oui, mais en l’absence de toutes les données de la question, une réponse formelle est aussi difficile à formuler que le président du Nigéria à être réélu.

Aziz Boucetta

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